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Des "aspies" en entreprise

Par Neptune 

le 21/03/2016 

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Un nombre croissant de patrons à travers le monde recrute des personnes porteuses du syndrome d'Asperger. Quels sont les atouts et les faiblesses de ces salariés ? Dans quelles mesures peuvent-ils s'épanouir dans le monde du travail ?

par Héloïse Junier.
Paru dans "Le Cercle Psy", Janvier-Février 2016



Début avril 2015, à l'oc­casion de la Journée mondiale de sensibi­lisation à l'autisme, le géant américain Microsoft a officialisé le lancement d'un programme pilote de recrutement des personnes avec autisme (1). Deux ans plus tôt, en 2013, la société allemande SAP, spécialisée dans l'élaboration et la commercialisa­tion de logiciels de gestion, a annoncé vouloir recruter, d'ici 2020, 650 personnes autistes, soit près de 1% de son effectif mondial. Les missions qui leur sont confiées ? Programmer, tester, évaluer la qualité des produits et des logiciels. Ces deux projets, comme d'autres à travers le monde, sont conduits en partenariat avec le danois Specialisterne (2), première ONG au monde à s'être spécialisée dans l'insertion professionnelle des personnes avec autisme. Celle-ci fut fondée par Thorkil Sonne, lui-même papa d'un enfant autiste et ancien­nement président de l'association Autisme Danemark.
AspergerSyndrome d'Asperger
(1) Annonce disponible en ligne : Microsoft announces pilot program to­ hire people with autism

(2) Site internet: http://specialisterne.com/

(3) Site internet: http://auticon.com/

(4) Le projet « Hors les murs » est disponible en ligne : Hors les murs, le nouveau projet de Socia3.



Le Cercle Psy, un mensuel que nous apprécions
Le Cercle Psy, un mensuel que nous apprécions
Cette fondation à but non lucratif s'est d'ailleurs étendue sur plusieurs pays dont l'Irlande, la Pologne, le Royaume-Uni. Auticon (3), quant à elle, est la première société allemande à ne recruter que des consultants autistes Asperger. Et chez nous, alors ? En France, comme toujours, nous affichons un certain retard en la matière ... Une poignée d'entreprises seulement ont franchi le cap, dont le groupe Soregor basé près d'Angers, qui externalise la compta­bilité et la paye. Leur filiale Socia3 a développé un projet baptisé « Hors les murs » (4), destiné à développer l'inser­tion professionnelle des personnes avec autisme, en collaboration avec le Centre de ressources autisme (CRA). Pourquoi un tel engouement pour les personnes Asperger? Qu'ont-ils de plus (ou de moins) que leurs congé­nères neurotypiques en cravate ?

Un extraterrestre dans le monde du travail


Un petit rappel s'impose: la définition du syndrome d'Asperger. Contrairement aux autres troubles du spectre de l'autisme (TSA), ce syn­drome n'inclut aucun retard général du développement cognitif ou du langage. L'Asperger, communément surnommé « Aspie », est ce qu'on appelle un autiste de haut niveau (4b). Ces personnes dites neuro-atypiques témoignent de capacités intellec­tuelles dans la moyenne ou supé­rieures mais, au contraire, de capacités relationnelles et de communication fragiles. En résumé : ils tendent à cartonner dans les domaines où les neurotypiques calent, et tendent à caler dans les domaines où les neurotypiques cartonnent. Ou presque.

Explications de Julie Dachez, doctorante en psychologie sociale, travaillant sur les discriminations à l'égard des personnes autistes adultes en France et elle-même Asperger :
« Les personnes Asperger sont recon­nues pour leur capacité à se focaliser sur les détails, mais aussi pour leur grande capacité de concentration et d'attention. Ils font également preuve d'un grand professionnalisme, d'une certaine honnêteté, d'un réel perfectionnisme ainsi que d'un raisonnement logique et pragmatique ».

Autant de compétences-clés large­ment sollicitées dans les domaines de la comptabilité et de l'informatique. Les Asperger seraient, par exemple, particulièrement disposés à repérer des coquilles dans du code de programmation. « Ceci dit,j'ai un ami Asperger qui a été DJ pendant plusieurs années ! Comme quoi, nous sommes capables de tout, du moment que notre poste de travail est correctement amé­nagé ! », nous confie Julie Dachez.

(4b) Note de Neptune : ceci n'est pas tout à fait exact : les autistes typiques n'ont pas forcément de déficience intellectuelle ;  asperger (10 % des autistes) et autiste haut niveau (ahn) sont deux neuro-atypicités distinctes, avec des spécificités cognitives un peu différentes. Et 70 % des autistes n'auraient aucun retard mental.

Les Asperger sont réputés pour leur mode de pensée créatif. Face à un problème, ils parviennent intuitivement à trouver des solutions inédites


Ils parviennent intui­tivement à trouver des solutions inédites qui n'auraient peut-être pas été envisagées par d'autres. Enfin, ces neuro-atypiques sont également décrits comme très ponctuels et performants dans la gestion des délais. Un florilège d'atouts bénéfiques à un environnement professionnel.

Sauf que. Il y a un mais. Car les choses se gâtent lorsque l'on s'immisce dans le domaine de la communication et de l'adaptabilité. « Les Asperger ont de réelles difficultés à travailler en groupe, à saisir les règles implicites d'une entreprise. Ils témoignent d'une certaine naïveté sociale et d'une absence du sens de la compétition. Si leur savoir-faire est bon, leur savoir-être, lui, leur fait défaut à travers tous les moments sociaux informels entre col­lègues », souligne Julie Dachez. Les Asperger, qui s'avèrent peu flexibles et peu adaptatifs, manifestent égale­ment des difficultés à accepter les changements : « Par exemple, si du jour au lendemain on annonce à un salarié Asperger qu'il va changer de bureau, il ne sera pas du tout à l'aise ! », complète-t-elle. Logiquement, si un Asperger atterrit dans une entreprise qui compte une majorité d'open-space, de pauses cafés où l'on papote de la pluie et du beau temps, et de réunions sempiternelles pleines à craquer de cravateux arrivistes, l'issue risque d'être épineuse. Par définition, un Asperger est en inadéquation avec la majorité des modèles d'entreprises actuels qui favorisent l'esprit de convivialité et les échanges entre salariés : « Quand un environnement est trop bruyant, où il y a par exemple trop de va-et-vient, notre cerveau est en surcharge à cause de toutes ces informations sensorielles qui nous parviennent et que nous ne parvenons pas à filtrer. Nous pouvons ressentir de l'anxiété, de l'angoisse, une grande fatigue et des surcharges sen­sorielles qui peuvent finir par entraîner des absences répétées » (5).

Comme d'autres Asperger, Julie Dachez éludait à tout prix les temps et espaces convi­viaux avec ses collègues. « Il nous est très difficile de nous épanouir dans toutes ces pauses café, open space et brainstormings ! ceci dit, malgré mon malaise, j'étais obligée de me conformer à certains rituels d'entreprise.»
Specialisterne
La Fondation Specialisterne ambitionne la création d'un million d'emplois d'autistes Asperger.
La liste des pays est éloquente.

(5) Voir la vidéo réalisée par Julie Dachez sur la fatigabilité des personnes Asperger, intitulée « La théorie des cuillères » : https://www.youtube.com/watch?v=joucXLKXb08
Asperger-OpenspaceL'open space, photo idyllique

Cauchemar pour un autiste Asperger, ce dispositif permettant essentiellement d'économiser des surfaces de bureaux, ne tient pas non plus ses "promesses" vis-a-vis de l'entreprise et des personnes qui y travaillent. Voir L'open space, cauchemar des salariés, paru dans "Elle", 2015


Asperger-Thorkil Sonne
Thorkil Sonner fondateur de Specialisterne, jouant aux échecs avec son fils Lars.
Source : "The Autism Advantage", New York Times, nov 2012


(5b) http://www.autisme-france.fr/offres/file_inline_
Le lien cité dans le cercle psy est malheureusement obsolète.

Aménager l'environnement de travail


Pour optimiser l'inclusion et l'épa­nouissement d'un Asperger dans une entreprise classique, il importe d'amé­nager son environnement de travail. « Quand le handicap est invisible et méconnu, comme c'est le cas pour l'autisme, il n'est pas aisé pour les diri­geants de pouvoir se projeter pour savoir ou imaginer quel type d'aména­gement envisager » explique Julie Dachez. L'aménagement de l'espace peut être avant tout sensoriel: éviter les lumières artificielles, les open spaces, privilégier les espaces de tra­vail silencieux... Tandis que certaines entreprises aménagent également les horaires de travail de leurs salariés Asperger pour leur éviter les heures de pointe dans les transports en com­mun.« Il s'agit également de permettre aux Asperger de ne pas participer aux pauses-café, aux brainstormings, aux réunions. Notre handicap étant invi­sible, l'entourage professionnel tend à interpréter nos besoins comme des caprices ! », complète Julie Dachez. Il s'agit également de privilégier les consignes par écrit, de leur confier des missions précises, d'anticiper leur emploi du temps et les éventuels changements auxquels ils vont être confrontés et, bien entendu, de ne pas se braquer à la moindre remarque abrupte de leur part ! Mais ce n'est pas tout. Cet aménagement de leur envi­ronnement de travail inclut une étape incontournable: celle de l'inclusion sociale. L'objectif est d'expliciter aux membres de l'entreprise les tenants et les aboutissants du syndrome.« Les recherches démontrent que lorsque les différences d'un individu sont attri­buées à des causes extérieures à sa volonté, biologiques par exemple, la tolérance est plus grande que si elles sont attribuées à un choix personnel ou un trait de personnalité. Par exemple, si un autiste répète en écholalie les fins de phrase de son interlocuteur, ce n'est pas par manque de respect ou par souhait de le provoquer, mais tout sim­plement parce qu'il est autiste ! Mes collègues disaient de moi que j'étais hautaine, snob, décalée. C'était pour eux une manière de rationaliser mon comportement Or, ce n'était pas le cas ! », témoigne Julie Dachez. Pour autant, certaines personnes hésitent à parler de leur handicap à leurs collègues.

18 % d'emploi en UK, 1 % en France


Peu de chiffres sont connus en matière d'insertion professionnelle des autistes Asperger. En France, on estime qu'1 % des Asperger exercerait une activité professionnelle. Alors qu'ils seraient près de 18 % en Grande-Bretagne. « Selon le Ministère du Travail, il y aurait entre 1 000 et 2000 personnes autistes adultes en milieu ordinaire. Un chiffre dérisoire d'autant plus inacceptable que 70 % des personnes autistes n'ont pas de retard mental et devraient donc pouvoir s'insérer en milieu ordinaire avec une aide » (Extrait du dossier de presse de la Journée mondiale de sensibilisation à l'autisme du 2 avril 2013, écrit par Autisme France) (5b). Le nombre de personnes diagnostiquées autistes étant en pleine explosion, le domaine du recrutement spécialisé serait bel et bien sur le point de devenir un marché potentiel. Certains entrepreneurs perçoivent dans le placement de ces compétences atypiques une perspective lucrative. Nous ne sommes donc pas à l'abri d'éventuelles dérives ces dix prochaines années

Une insertion professionnelle périlleuse


Quelques organisations, en France comme à l'étranger, jouent les intermé­diaires entre les Asperger et les recru­teurs, les accompagnent dans leurs premiers pas, élisent des référents au sein de l'entreprise. « Je pense que cette perspective est une chance pour les Asperger, s'enthousiasme Julie Dachez. Avoir un tuteur qui peut aider à l'aménagement de notre poste de travail et nous accompagner dans notre inclusion sociale auprès de nos futurs collègues est une aide précieuse. Il s'agit d'un membre de l'entreprise, qui n'a idéale­ment aucun lien hiérarchique, une personne de confiance bienveillante qui va être là pour répondre à toutes nos questions et nous guider. Celui-ci va nous permettre de mieux connaître les règles implicites de l'entreprise. Si le poste est aménagé, le salarié Asperger a toutes ses chances d'être épanoui. Et si en plus, le domaine d'expertise corres­pond aux intérêts de la personne, alors c'est la cerise sur le gâteau ! »

Dans l'hexagone


Depuis quelques années, de telles initiatives se développent dans nos contrées. C'est notamment le cas du dispositif expérimental lillois « Pass p'As » (6), fruit de la collaboration entre le Centre lillois de rééducation professionnelle (CLRP) et le Centre Ressources autisme du Nord-Pas-de­-Calais (CRA). « Il faudrait avoir au moins une cellule de ce genre par région. J'espère que ce n'est pas qu'un effet de mode et que ces dispositifs vont se multiplier » souligne Julie Dachez.

Pour autant, l'hexagone reste à la traîne par rapport à ses voisins euro­péens et outre-Atlantique. Et pour cause, l'autisme, qui y est particulière­ment méconnu, fait claquer des dents les patrons. Les entreprises sont très frileuses et s'imaginent toujours que cela va être coûteux et nécessiter plé­thores d'aménagements. Celles-ci ne touchent aucune compensation finan­cière lorsqu'elles embauchent une personne en situation de handicap, en l'occurrence un Asperger. En revanche, elles doivent verser des compensations financières à l'AGEFIPH (7) si elles ne le font pas. Depuis la loi du 10 juillet 1987,toute entreprise de 20 salariés et plus, qu'elle soit privée ou publique, a l'obligation d'employer au minimum 6 % de personnes en situation de han­dicap. « Malgré cette obligation on ne dépasse malheureusement pas les 4 % d'emploi direct et indirect des personnes en situation de handicap, un taux stable depuis 10 ans », souligne Julie Dachez. Finalement, un salarié Asperger peut-il réellement se sentir intégré dans une entreprise une fois qu'un aménagement spécifique lui aura été proposé? « Si l'on parle de s'intégrer au sens de pouvoir y travailler, alors la réponse est oui ! En revanche, si l'on parle de s'intégrer au sens social du terme, pour moi ce n'est pas tant la réponse qui importe que la légitimité de la question, souligne Julie Dachez. Attendre d'une personne dont le han­dicap est avant tout social qu'elle socialise à tout prix sur son lieu de travail ne relève-t-il pas d'une volonté normative et validiste ? Or, c'est juste­ment cet état d'esprit là qu'il faut dépasser. Ne pas attendre de l'autre qu'il rentre dans un moule, mais l'accepter pour ce qu'il est, avec ses possibles et ses limites. »


Christian Andersen, autiste asperger, au travail dans son bureau au sein d'une grande société danoise.

Source : "The Autism Advantage", New York Times, nov 2012



(6) Dossier de presse, 2013




(7) Site internet: https://www.agefiph.fr/


AspertiseSuite à la parution de cet article, nous avons été contacté par la société Aspertise, qui lance une activité et recrute en ce début 2016 en France. Interview et présentation d'Aspertise


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