Mon séjour à l'hôpital psychiatrique de Thuir - témoignage de Jean-Louis Caccomo
Les Pyrénées orientales (66) n'ont qu'un seul secteur psychiatrique, et un seul hôpital psychiatrique qui, avec 651 lits emploie la totalité de la petite ville de Thuir.
Jean-Louis Caccomo, professeur d'économie à l'Université de Perpignan, y a effectué un séjour forcé, et nous a confié son témoignage.
Perpignan, le 11 février 2015
Au delà du fait que l’on m’a retiré ma liberté et privé de ma vie arbitrairement, je voudrais ici alerter sur les conditions de traitement dans l’univers psychiatrique en France en 2015. On a tous en tête les conditions de traitement des prisonniers dans les prisons turques ou marocaines et l’on se dit que cela se passe sous d’autres cieux, dans des pays peu scrupuleux sur les droits de l’homme et qui n’ont pas les mêmes standards de développement. Certes, cela n’excuse pas les mauvais traitements mais permets de le comprendre. Mais ce que j’ai enduré et vu se passe en France, à quelques kilomètres de mon université et de mon foyer, au pays des droits de l’homme.
Dès que vous êtes admis, on vous administre un traitement de choc de sorte que, au bout de quelques jours, vous n’êtes plus vous-même. Pour ma part, je resterai prisonnier 18 longs mois. Au début, on vous impose de porter un pyjama bleu. Puis on est laissé dans le vide du temps arrêté car c’est la même journée qui se répète indéfiniment de sorte que l’on perd la notion du temps.
"Il est impossible de dormir à cause des cris ou des patients qui tapent sur les murs"
Le seul repère, c’est la prise des médicaments, matin, midi, soir et à 22 h. La nuit, un veilleur ouvre la porte de la chambre toutes les heures. De toute façon, il est impossible de dormir à cause des cris ou des patients qui tapent sur les murs.
On ne m’appelait plus Monsieur Caccomo. Un jour, j’ai demandé que l’on m’appelle Docteur Caccomo car c’est ainsi que mes collègues américains me nomment et je me suis fait moquer allègrement par le petit personnel.
"On perd peu à peu sa dignité et son humanité"
Puis les effets secondaires de la combinaison des médicaments se déchaînent : hallucination, ralentissement de toutes les fonctions motrices, incontinence, perte des dents et des ongles… On perd peu à peu sa dignité et son humanité. À tel point qu’un jour, c’est le personnel qui a fait ma toilette, constatant que j’avais uriné dans mes draps.
Durant mon séjour, j’ai assisté à deux suicides et une tentative d’évasion. Je suis rentré, choqué, dans ma chambre. Ensuite, on passe ses journées dans la cour intérieure, avec pour seule occupation, la cigarette, à la recherche de mégots parfois, à l’abri des regards des infirmiers qui nous surveillent.
"Les psychiatres m'ont savamment reprogrammé à l'idée que je devais faire une croix sur ma carrière"
J’étais devenu un zombie, je ne me reconnaissais plus, moi qui avais l’habitude des colloques, des grands hôtels et des événements de prestige dans le cadre de mes activités universitaires. Les psychiatres m’ont savamment reprogrammé à l’idée que je devais faire une croix sur ma carrière. Quand je tentais de répondre, mes propos étaient qualifiés de « délires symptomatiques de phase maniaque ». Alors je me taisais, et mon mutisme était qualifié de « symptômes caractéristiques de phase décompensatoire ».
Je n’avais plus le goût des aliments. Les infirmiers me forçaient à manger avec la petite cuillère l’incontournable compote qui nous servait de dessert et que je ne supportais plus. Comme les enfants, à 16 h, on nous conduisait au réfectoire pour prendre un goûter…
À Noël, on est venu me chercher, on m’a rasé et coupé les cheveux pour aller boire le Champomy à 20 h avec le personnel de garde puis j’étais au lit à 20 h 30. De toute façon, durant mon séjour, on dînait à 19 h puis on était dans la chambre à 19 h 20.
"Il y avait des patients en isolement, attachés à leur lit, que l’on ne voyait jamais"
Il y avait des patients en isolement, attachés à leur lit, que l’on ne voyait jamais.
Tout ce que l’on voyait, c’était les infirmiers qui apportaient le plateau repas en chambre.
À chaque fois que je passais en audience devant le juge des libertés, mon état se dégradait. Le juge a maintenu en conséquence mon internement à cinq reprises, de sorte que j’avais perdu tout espoir de sortir de cet enfer.
J’ai bien pensé ne jamais en ressortir.
Jean-Louis a finalement été libéré : au bout d'un an (Avril 2014), l'hôpital de Thuir a estimé qu'il devait "bénéficier" d'un traitement spécial (on parle ici ou là d'électrochocs), et a du recourir aux services d'une clinique spécialisée à Montpellier. Le psychiatre de Montpellier a rapidement constaté que Jean-Louis n'avait pas besoin de soins sous contrainte, et a mis fin à son internement en juin 2014.
Le tiers demandeur de son internement, est le directeur de l'université de Perpignan, Mr Fabrice Llorente. La demande du 13 février 2014 est illégale : pas de certificat médical émanent d'un médecin extérieur à l'HP. L'auteur d'une demande d'HDT est, selon la loi, "toute personne susceptible d'agir dans l'intérêt du malade" (1). L'attitude de l'HP de Thuir est également illégale.
Ceci n'a pas empêché le directeur de l'université, de tenter une seconde fois, ce 9 janvier 2015, de faire interner Jean-Louis. Grâce à son entourage, il échappe de justesse à ce second internement, et tente aujourd'hui d'obtenir réparation en justice. Quels que soient les motifs médicaux ayant prévalu à son internement, les conditions initiales et la prolongation de cet internement sont totalement abusifs. Nous espérons que le cas de Jean-Louis soit correctement jugé, afin que de tels abus ne se reproduisent pas.
"Surtout n'allez pas à l'hôpital psy du coin : je le connais j'y étais soignante"
Second témoignage, de François, adhérent de Neptune
Port-Vendres, Aout 2014.
Ayant imprudemment accéléré la fin d'un sevrage aux anxiolytiques, l'une des personnes de notre groupe s'est trouvée très mal en arrivant dans cette région. Épuisée par les attaques de panique à répétition, elle s'évanouit au petit déjeuner, sur la terrasse d'un café. Gentiment, la serveuse nous aide, et demande ce qui se passe, si on doit appeler le SAMU etc. Sachant ce qui se passait, nous lui disons simplement "c'est un problème de sevrage à un tranquillisant, c'est normal, ne vous inquiétez pas". Un peu inquiète, elle aide la personne en lui parlant, en lui tenant la main et en apportant de l'eau fraîche. Un autre serveur avait déjà décroché son téléphone pour appeler le SAMU. Elle l'arrête aussitôt : "surtout pas !". En se tournant vers moi : "ça va aller ? je vous conseille vraiment de ne pas vous rendre à l'hôpital psy d'ici : je connais, j'y ai été soignante !".
Le centre hospitalier spécialisé Léon-Jean Grégory de Thuir, lors de l'inauguration des nouveaux bâtiments.
Tous les lits sont concentrés à Thuir : plus qu'au Vinatier, le plus grand HP de Lyon. La loi de sectorisation est bien loin, on préfère agrandir l'usine.
Trouvé sur la page Facebook de l'hôpital.
Jean-Louis Caccomo, et tous les internés abusifs, apprécieront.
Jean-Louis Caccomo
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