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Biais de présentation, biais de publication (épidémiologie)

Par Neptune 

le 13/12/2015 

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Biais de présentation


Synomymes


    biais de publication, ou biais d'autocomplaisance.

Autres types de biais


Définition


    Le biais de présentation consiste à ne présenter qu'une partie des résultats, ou à sélectionner une des formes de présentation possibles des résultats, dans le but d'aboutir à une conclusion voulue préalablement.

Exemples de moyens employés


    1. Modifier l'unité de mesure

    Technique employée pour diluer des chiffres élevés ou pour maximiser des chiffres faibles.

    Exemple caractéristique : l'étude publiée par Lancet, 2009, concluant à un très faible taux de mortalité par suicide pour les personnes prenant de la clozapine (Leponex@) et d'autres neuroleptiques (1). L'étude s'est déroulée sur plusieurs années (11 ans), mais tous les résultats ont été présentés en nombre de décès par année-homme.

    Or, les médicaments tels que la clozapine sont associés à une forte incidence de décès lors de la première année de traitement, et beaucoup moins ensuite. Les chiffres qui suivent sont fictifs mais montrent comment on peut obtenir un pourcentage fondamentalement faux sur un évènement dont l'intensité diminue avec le temps.

    survenu de décès
    Courbe de mortalité en nombre de cas par an.
    70 % de décès, 26 % selon Lancet

    La mortalité réelle est de 70 % : s'il y a 100 personnes au départ, 50 décès la première année (2), et 5 par an au cours des 4 années suivantes, alors la mortalité est de 50 + 4x5 = 70, donc 70 % de décès en 5 ans.

    La mortalité annoncée est de 26 % : en changeant l'unité de mesure en nombre de décès par année-homme, c'est à dire la probabilité moyenne de décéder dans l'année à venir. On compte le même nombre de décès également répartis, donc 70, que l'on rapport au nombre d'année x homme, soit 100 + 50 + 45 + 40 + 35 (années commencées par un homme vivant, donc) ce qui fait 70 / 270 = 25,92 %.

    En outre, les auteurs publiés par Lancet ont conclu, par un autre type de biais, que la clozapine "provoquait moins de décès que des antipsychotiques plus modernes". Là il s'agit d'un biais de sélection car le traitement à la clozapine était commencé.... avant le début de l'étude, contrairement aux autres produits. Voir notre article sur les biais de sélection


    2. Supprimer une étude complète pour ne retenir que la plus favorable

    Technique employée souvent en pharmacologie : les laboratoires ont les moyens de lancer de nombreuses études, et ils le font. Même si la méthodologie de l'étude 1 est identique à celle de l'étude 2, on élimine l'étude 2 en lui trouvant des défauts après coup, et on ne présente que l'étude 1.

    Exemple : Frédéric Rouillon, l'un des auteurs les plus réputés sur les antidépresseurs en France, a conduit 2 études préalables à la mise sur le marché du Valdoxan (agomélatine) : l'étude CL3-21 et l'étude CL3-041. La première ne donne pas un avantage significatif sur le placebo, la seconde donne un avantage clair. Cependant, son article dans l'ouvrage "Les antidépresseurs" (3), ne cite, dans un comparatif entre antidépresseurs, que la seconde étude, alors que les deux études sont retenues par l'ANSM dans son évaluation concluant à "un faible avantage".

    agomélatine servier ANSMEfficacité de l'agomélatine contre les rechutes dépressives, ANSM, RCP.
    Le Pr Rouillon a conduit ces deux études mais ne cite que la seconde dans l'article

    La première étude n'avait aucune raison scientifique d'être purement écartée. Le Pr Rouillon aurait même du en conclure qu'il n'y avait aucune différence d'efficacité avec le placebo à une dose de 25 mg.

    Nous pensons en observant ce cas parmi d'autres, que les liens d'intérêt sont une "étiologie" de biais plus ou moins volontaires dans les publications dites scientifiques. Le Pr Rouillon reconnaît (en annexe de l'ouvrage) "des honoraires pour des conférences ou une participation à des essais thérapeutiques pour les laboratoires Servier, Lilly, Janssen-Cilag, Lundbeck et Sanofi".

     

    3. Ne retenir que le comparateur extrême

    Cette technique est particulièrement facile à détecter dans la vie courante, mais plus sournoise sur des sujets moins connus.

    De manière caricaturale, on rencontre cette technique dans les discours politiques démagogiques et excessifs : comparer le rhume et la peste, comparer le nombre de victimes d'une bombe atomique au nombre de victimes de la Shoah, etc, dans l'intention de soutenir une théorie.

    En psychiatrie cette technique est parfois employée : on la retrouve dans l'étude Lancet de 2009 déjà citée, concluant à un très faible taux de mortalité par suicide pour les personnes prenant de la clozapine et d'autres neuroleptiques. (1)

    Le but déclaré de l'étude était la comparaison entre antipsychotiques dits "atypiques" (clozapine, risperidone-Risperdal@, quetiapine-Xeroquel@, etc) et ceux de 1ere génération (halopéridol- Haldol@, chlorpromazine-Largactil@, cyamémazine-Tercian@ pour les plus courants). Jusque là, pas de problème.

    Or les résultats furent publiés en terme de comparaison entre antipsychotiques atypiques, et ... la perphenazine (Trilifan@). Soit un neuroleptique de première génération, devenu peu prescrit du fait de son extrême nocivité, justement. Dans ce cas même l'halopéridol-Haldol@ aurait fait un bon score.

    On peut aussi classer cette technique dans le biais de sélection, si l'intention de fausser l'interprétation n'est pas manifeste. Elle reste un biais de présentation si l'intention est de soutenir une conclusion voulue préalablement.

 
biais de présentation
Bibliographie :
Les biais en épidémiologie, Alain Lévêque (4). Une très bonne synthèse assortie de nombreux exemples et schémas.

Anglais


    Publication Bias, Self-serving bias



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(1) Tiihonen, Lancet, 2009

(2) Attention : ces chiffres ne sont pas ceux de la clozapine (Leponex@), mais donné à titre d'illustration en accentuant l'effet "répartition inégale de l'incidence au cours des années".

(3) Les antidépresseurs, Lavoisier, Ch XIII traitement des troubles dépressifs unipolaires, Frédérice Rouillon, CH Sainte-Anne, 2013

(4) Les biais en épidémiologie, Alain Lévêque
Professeur d’épidémiologie à la Faculté de Médecine et à l’Ecole de Santé Publique de l’Université de Bruxelles, "Méthodes en épidémiologie"

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Pour aller plus loin sur l'épidémiologie et appréhender les différents domaines (médecine, mais pas uniquement) dans lesquels elle est utilisée, un ouvrage de référence (pour les étudiants, les médecins, les chercheurs et les curieux) : Epidémiologie : Principes et méthodes quantitatives (Bouyer et al), Editions Lavoisier, 2009. 31€

Merci, c'est très bien. J'illustre ceci par un exemple simple tirée du site Mad in America. cf https://www.madinamerica.com/2015/07/psychosurgeons-burn-away-mental-illness-according-to-wired/

Mad in Amercia, 2 juillet 2015 a écrit:
Love the last sentence: “And for people who need them, psychosurgeries can be highly effective. Success rates are relatively high — about half of all patients who undergo anterior cingulotomy recover to completely normal levels of brain function.” Translation: about half of all patients can NOT recover to completely normal levels of brain function.

J'adore la dernière phrase : "Et pour les personnes qui en ont besoin, les psychochirurgies peuvent être très efficaces. Les taux de réussite sont relativement élevés - environ la moitié des patients qui subissent une cingulotomie antérieure retrouvent un niveau de fonctionnement cérébral tout à fait normal". Traduction : environ la moitié des patients ne peuvent PAS retrouver un niveau de fonctionnement cérébral complètement normal.

Je me permets de suggérer que de nombreux sites pratiquent ce que l'on pourrait carrément qualifier de blanchiment médical.

Exemple : lisons l'e résumé de l'étude suivante https://n.neurology.org/content/53/4/819 sur la cingulotomie

Résultats : Après la cingulotomie, les patients présentaient initialement des troubles exécutifs et attentionnels. En 12 mois, ces troubles se sont résorbés en déficits plus circonscrits, les déficiences les plus importantes se situant au niveau des tâches nécessitant une production intentionnelle et une réponse spontanée, et les déficiences plus légères au niveau de l'attention concentrée et soutenue. Les autres aspects de l'attention et les autres fonctions cognitives n'étaient généralement pas affectés.


Et à présent, lisons le détail de l'étude, qui est plus difficile à obtenir mais c'est possible quand même, la preuve le voici :

La cingulotomie a produit une diminution statistiquement significative de la douleur après 12 mois (avant chirurgie58.661.2, après chirurgie56.862.1;p,0.05). L'ampleur de cet effet était faible et son importance clinique limitée, car la plupart des patients n'ont signalé que des améliorations modestes de la gravité de la douleur. Pourtant, 66,6 % des patients ont déclaré avoir bénéficié de la cingulotomie et 61,1 % des patients ont déclaré être moins gênés par leur douleur. Les patients ont rapporté une amélioration significative de la mesure dans laquelle la douleur interfère avec le comportement et le fonctionnement social après la cingulotomie [t(17)54.1,p,0.01]. Par conséquent, bien que l'amélioration de la gravité de la douleur ait été modeste, la réponse des patients à cette douleur s'est améliorée de façon spectaculaire. Bien que les familles n'aient pas effectué d'inventaires standardisés, beaucoup ont indiqué que les patients avaient tendance à être irritables, facilement frustrés et incapables de se concentrer sur autre chose que leur douleur avant l'opération. Après la cingulotomie, de nombreuses familles ont spontanément signalé des changements subtils dans la personnalité des patients ; les plus fréquents étaient des rapports de passivité accrue, une réduction de la tension émotionnelle et une attitude plus laxiste, moins préoccupée par leur douleur. Quatre patients sont retournés au travail après avoir été en invalidité pendant de nombreuses années.

Nos conclusions actuelles portent sur deux questions concernant les effets de la cingulotomie : 1) le délai de récupération qui survient au cours des 12 premiers mois après l'opération et 2) les effets à long terme des lésions cingulaires antérieures bilatérales. Immédiatement après la cingulotomie, le mutisme, l'akinésie, l'affect émoussé, la léthargie et l'apathie étaient courants, des comportements qui correspondent à un syndrome de type frontal précédemment signalé après une lésion de l'ACC15. Ces symptômes se sont rapidement résorbés et, trois mois après l'opération, la plupart des patients étaient revenus à leur niveau de base dans la plupart des domaines cognitifs (par exemple, le langage, la vision, la motricité, la mémoire, le fonctionnement intellectuel). Cette constatation est conforme aux résultats d'études antérieures sur les résultats des cingulotomies.7 Malgré ce rétablissement, de nombreuses familles ont signalé que de subtils changements de personnalité et de fonctionnement persistaient, en particulier une passivité comportementale continue. Des déficits de contrôle et d'attention ont également persisté, la production de réponses spontanées étant la plus touchée (énoncés spontanés, construction d'objets, fluidité de la conception), un modèle de déficience couramment observé chez les patients ayant subi une lésion du lobe frontal.


Sacrée différence, non ?

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