Éducation et Psychanalyse
par Didier PLEUX, pédopsychologue.
Docteur en psychologie du développement, psychologue clinicien et directeur de l'Institut français de thérapie cognitive. Après avoir fait ses armes auprès de jeunes délinquants, il s'est formé aux thérapies cognitives aux États-Unis avec Albert Ellis, ancien psychanalyste et figure de proue du cognitivisme moderne depuis les années 1960. Praticien de la remédiation cognitive, il est membre de l'équipe Feuerstein de l'Hadassah-Wiso-Canada Institute de Jérusalem. Il est l'auteur d'un livre remarqué : De l'enfant roi à l'enfant tyran.
Sommaire
IntroductionI. La psychanalyse et l'enfant
Les stades
L'inconscient
II. Les conséquences pour les parents : peur ....
D'être mauvais parent
De "frustrer" l'enfant
De projeter
"Toujours dire la vérité"
De ternir sa bonté
D'imposer une loi familiale
De faire du mal
D'être une mère étouffante
III. Les conséquences pour les enfants
De "l'enfant est une personne" à l'enfant-roi
De l'enfant-roi à l'enfant-tyran
La fessée, une réponse inadaptée
Les enfants tyrans souffrent
V. Les contresens à l'école
Apprendre sans pression
Apprendre uniquement dans le plaisir
Apprendre sans le maître
Le mythe du cancre surdoué
VI. Retour à l'autorité parentale, le tour de passe-passe
Du contenu manifeste au contenu latent...
La mauvaise foi...
Introduction
Au départ, la psychanalyse s'est essentiellement intéressée à la psychopathologie de l'adulte. Au long de sa carrière, Freud n'a quasiment pas soigné d'enfant. Il ne fait état, dans son œuvre, que du cas du petit Hans, alias Herbert Graf, avec lequel il fut en contact en 1907 pour sa phobie des chevaux (101). Grâce à la psychanalyse, le petit garçon fut guéri de sa phobie des chevaux, comme Freud l'écrit à Jung en 1908. En fait, Freud ne vit l'enfant que quelques instants : c'est par l'intermédiaire de son père que le petit Hans fut « traité ».
En ce début de 20e siècle qui vit éclore la psychanalyse, quelques parents proches de Freud tentèrent d'éduquer leurs enfants de façon "préventive" en appliquant les préceptes psychanalytiques pour éviter à l'enfant les névroses et les traumatismes qui risqueraient d'entraver son bonheur futur. Ce fut notamment le cas du jeune Rolf qui servit de cobaye à sa tante Mme Hug-Hellmuth : elle deviendra la première psychanalyste d'enfants. Rudolf, surnommé Rolf, est décrit par sa tante comme instable, retors, prisonnier de pulsions criminelles. Grâce à son éducation teintée de freudisme, Mme Hug-Hellmuth guérit l'enfant, du moins est-ce ce qu'elle dit à Freud. La maman du petit Rolf décède quand il a 8 ans. A 18 ans, Rolf tente de voler sa tante et l'étrangle. On peut imaginer une meilleure éducation préventive...
Freud déclarait en 1907 : "C'est entre les mains d'une éducation psychanalytiquement éclairée que repose ce que nous pouvons attendre d'une prophylaxie individuelle des névroses" (102). Le cas Hans, comme celui de Rolf, tend à prouver que cette prévention par l'application des préceptes de la psychanalyse en éducation, est douteuse.
Freud, 1856-1939, fondateur de la psychanalyse
(103) cf. R.Pollak, The Creation of Dr B : Biography of Bruno Bettelheim, New York, Simon & Schuster, 1997.
(104) B. Bettelheim, L'amour ne suffit pas, Paris, Fleurus, 1970.
(105) J. Kagan, Des idées reçues en psychologie, Paris, Odile Jacob, 2000.
(106) J. Bowlby, Attachement et perte, Paris, P.U.F., 1978.
Dans ces diverses conceptions de l'éducation affective de l'enfant - ici à peine esquissées -, voici ce que l'on comprend en filigrane : c'est dans la relation avec les parents, et surtout avec la mère, que se jouent les pathologies des enfants. D'où l'idée que l'éducation doit répondre à la théorie qui soigne ces troubles : la psychanalyse. Tout se passe comme si la psychanalyse utilisait la pathologie des enfants pour mieux affirmer ses croyances en éducation.
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Là est le danger : ce qui n'était jusqu'alors que des affirmations de spécialistes va être largement diffusé. Les idées qui n'étaient que des hypothèses issues de la psychopathologie vont être assenées comme des vérités éducatives. L'évolution des écrits et des interventions radiophoniques de Françoise Dolto en témoigne.
Dans sa thèse en 1938, "Psychanalyse et pédiatrie", elle rédige 130 pages pour sa partie clinique, et ne présente que des cas d'une grande banalité : quelques problèmes de retard et de lenteur à l'école, d'instabilité, d'enfant colérique et les deux tiers de problèmes de pipi au lit. A cette époque (le tout-petit n'était pas considéré comme une "personne" à part entière, rappelons-le), il est probable que l'énurésie pouvait traduire d'autres souffrances et que la théorie psychanalytique répondait à certaines questions. Mais l'amalgame est fait avec d'autres troubles : enfant instable, menteur, démotivé à l'école, tout comportement "déviant" a un sens caché, c'est le symptôme révélateur d'un trouble plus ancré. Dans "Le Cas Dominique" (1971), Françoise Dolto redevient experte en pathologie infantile pour évoquer un trouble psychiatrique. Mais les derniers écrits, qui font suite aux émissions de radio à grand succès, La Cause des Enfants, La Cause des Adolescents (1985), s'adresse à nouveau à un très large public. Il s'agit désormais de faire de la prévention et d'inculquer ce qu'il faut psychanalytiquement faire en éducation. A contrario les parents risquent gros : certains chapitres de La Cause des Adolescents parlent d'eux-même : "Les suicides d'adolescents : une épidémie occultée" , chapitre 10 ; "A chacun sa drogue : faux paradis et pseudo-groupes" chapitre 11; "Echec à l'échec scolaire", chapitre 12. Si l'on bouge trop l'adolescent, à cette époque où il est si "fragile", il risque de devenir délinquant, de se droguer, de faire des tentatives de suicide et d'échouer scolairement. Désormais, les parents veulent être rassurés et ne peuvent qu'adhérer aux conseil éducatifs, même s'ils sont parfois étranges, d'une femme qui parle avec autant de chaleur, d'humanité et bons sens sur les ondes (107). Après l'énorme succès des émissions radiophoniques, Françoise Dolto se consacrera dès 1978 à la formation, aux conférences et participera de plus en plus à de nombreuses émissions de radio et de télévision. Elle crée ses "Maisons vertes" dès 1979 ; ce qui n'était jusque là que discours entre experts en psychopathologie va devenir un discours éducatif.
Désormais, l'éducation et la psychanalyse ne font plus qu'un.
(107) Lorsque l'enfant paraît, émission de France-Inter, année 1970
Françoise Dolto, 1908-1988
Mélanie Klein, 1882-1960
Le sadisme est originel
Pour Melanie Klein, l’être humain est, de façon innée, travaillé par une pulsion de mort et de destruction. Dès ses premiers mois, il est habité par des fantasmes sadiques visant l’intérieur du ventre maternel. Il imagine ses deux parents soudés en une sorte de copulation ininterrompue et, se sentant exclu de cette belle harmonie, rêve de les anéantir. La survie dans l’inconscient de ce sentiment d’exclusion archaïque explique les meurtres passionnels de l’adulte, mais aussi la douleur indicible qui peut nous assaillir lorsque nous sommes trompés : nous revivons alors cette mise à l’écart primitive.
Les filles ont peur de leur mère
Selon Melanie Klein, les filles se tournent vers leur père, puis s’intéressent aux hommes pour échapper à une mère vécue comme toute-puissante, qui menace de les détruire et de leur interdire l’accès à la maternité. Le fantôme de la mère se tient derrière toute histoire d’amour. Même dans l’hétérosexualité, le véritable objet de désir et de défi d’une femme, c’est l’autre femme, toujours imaginée comme une rivale.
La vie psychique démarre dès la naissance
Loin de connaître la béatitude, le nourrisson expérimente des états paranoïdes, où il croit que le sein, le biberon et le monde lui veulent du bien ou du mal, selon ses sensations du moment. Empli d’une envie dévorante à l’égard du sein, il est terrorisé par cette pulsion : il craint d’abîmer cette source nourricière, de la perdre. Vers 6 mois, la « position dépressive » tempère cette agitation mentale. La pression se relâche, l’envie archaïque se transforme en gratitude et en amour pour ce qui fait du bien, la mère. Melanie Klein qualifie cette étape de dépressive, car elle apprend à supporter ces sentiments douloureux que sont tristesse, remord et culpabilité.
Biographie résumée
1919 : intègre la Société hongroise de psychanalyse après sa présentation d’Analyse d’un enfant de 5 ans – son fils Erich.
1924 : se démarque de l’orthodoxie freudienne en élaborant un complexe d’Œdipe archaïque commençant au moment du sevrage.
1934 : Melitta Schmideberg, sa fille, elle-même psychanalyste, dénonce la dépendance dans laquelle sa mère la maintient et l’accuse d’avoir poussé son frère Hans au suicide. Melanie Klein sombre dans une profonde dépression.
1940 : naissance du "kleinisme". Le monde analytique compte désormais les kleiniens et les autres…
Source : psychologie.com
"Selon elle, si un enfant suce son pouce, c'est mû par le fantasme de mordre et de dévorer la verge de son père et les seins de sa mère. L'enfant s'imagine que le ventre maternel contient de nombreux pénis du père et des enfants conçus sous forme d'excréments." . D. Pleux.
Nos enfants sont élevés dans la "vérité psychanalytique"
La psychanalyse, qui au départ était une hypothèse de compréhension de la psychopathologie de l'adulte, puis de l'enfant, guide désormais la plupart des parents : elle s'est substituée au discours éducatif.
Qu'est-ce que l'éducation ? Je ne trouve pas de meilleure définition que celle du Littré : "Action d'élever, de former un enfant [...] Ensemble des habiletés intellectuelles ou manuelles qui s'acquièrent, en ensemble des qualités morales qui se développent." L'éducation est bien comprise dans son aspect dynamique, "développement", diraient les spécialistes : les parents vont aimer, accompagner, protéger mais aussi former, instruire, conseiller, proposer, interdire. Pour la psychanalyse en revanche, il ne s'agissait à l'origine que de prévenir des pathologies pour lutter contre le déterminisme qu'elle avait elle-même installé. Tout attitude parentale, tout comportement de l'enfant est "psychologisé", analysé, décrypté. Finis le bon sens, la spontanéité, il va falloir comprendre, décoder le "sens".
La plupart des ouvrages de vulgarisation scientifique proposent une seule approche de l'enfant et de son développement affectif, l'approche psychanalytique : Marcel Rufo, quand il est co-auteur avec Christine Schilte, Aldo Naouri, Claude Halmos (179, 179b), Edwige Antier (130), Maryse Vaillant, Nicole Fabre, Caroline Eliacheff, pour les plus connus. Toujours le même déterminisme - tout se joue dans les premières années, dans cette première relation qui lie l'enfant à ses parents et à sa mère en particulier -, les mêmes concepts, et la même peur de mal faire, de "rater" la construction affective de son enfant. Françoise Dolto, auteur des années 1970, est encore et peut-être même plus que jamais d'actualité. On écrit même des livres pour clarifier ses thèses aux parents, dont celui de J.C. Liaudet, (115) Dolto expliquée aux parents.
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Bruno Bettelheim, 1903-1990
Raisonnant par analogie, il était convaincu que les autistes étaient victimes de parents tortionnaires, de mères glaciales qui avaient désiré la mort de leur enfant.
Les travaux de Bettelheim ont été largement récusés aux États-Unis depuis plus de 30 ans. (1)
Le Livre noir de la psychanalyse (100) consacre un chapitre entier à sa biographie.
D'éminents psychanalystes français, interviewés dans le documentaire Le Mur (1) continuent de défendre voire d'appliquer ses thèses.
Les médias
Ils véhiculent les thèses freudiennes comme des révélations qui ne souffrent aucune remise en cause. Ce qui est normal puisque c'est, en France du moins, le discours hégémonique. Dans la presse féminine, la presse "Parents", la presse nationale, on trouve toujours "L'avis du psy", donc l'avis du psychanalyste. Un enfant qui a la varicelle, "ça parle", un garçon dyslexique, c'est "un problème avec le père", un bébé qui souffre de reflux gastrique, "il rejette le sein maternel et donc exprime son problème relationnel avec sa mère".
Je cite cet extrait de l'article d'un quotidien (108) : "Et si on réécoutait Dolto ?" A propos des paroles de Françoise Dolto : "Dans l'inconscient, un être humain sait tout dès qu'il est tout petit...", Edwige Antier, pédiatre médiatisée, commente : "Françoise Dolto était visionnaire. Les études scientifiques sur le comportement prénatal ont confirmé l'incroyable : un nouveau-né est programmé pour comprendre les émotions de sa mère." Et de citer les résultats concernant l'accélération du rythme cardiaque de nourrissons devant les conversations de sa maman avec une sage-femme lorsqu'est évoqué l'accouchement douloureux... Combien d'enfants a-t-on évalué dans cette enquête scientifique ? Encore un cas d'école.
Que le foetus soit sensible au stress maternel, bien sûr, qu'il soit capable de reconnaître la voix de sa mère et la langue qu'elle parle, là aussi, des études l'ont établi, mais de là à l'imaginer en train d'écouter et de comprendre une conversation depuis l'intérieur de la cavité utérine, on est dans la pensée magique.
Un récent "Spécial parents" (109) témoigne également de cette hégémonie de la pensée freudienne. Sur les articles des 13 spécialistes : 6 psychanalystes, 6 psychologues, pédiatres ou psychothérapeutes d'obédience psychanalytique, et une seule représentante des approches cognitivo-comportementales : Gisèle George (110), pédopsychiatre reconnue, mais dont le discours est dénaturé sous le titre : "L'opposition permet d'affirmer sa personnalité". Elle qui demande un système éducatif avec récompenses et sanctions quand c'est nécessaire, se voit réintégrer dans la psychologie "classique" : ne heurtez pas un enfant qui s'oppose, acceptez qu'il épanouisse son "Moi". C'est vrai, une fois de plus, quand il s'agit d'un enfant dévalorisé, à faible estime de soi. Mais non pour les autres, ceux que je qualifie d'enfants omnipotents.
Le lecteur n'est bien sûr pas prévenu de ce biais idéologique. Pourtant, il serait juste et honnête de dire : "Vous allez entendre ce que l'on dit depuis cent ans en psychanalyse, sauf en page 66, un témoignage d'une comportementaliste." Est-ce un travail journalistique ? Est-ce leur faute ? Non : quand on écrit sur un sujet, le réflexe est de faire intervenir les experts, c'est normal. Mais les experts appartiennent quasiment tous à la même chapelle : les journalistes le savent-ils ? Des ondes aux journaux, toujours la même pensée unique.
Extrait d'une émission entendue à la radio en novembre 2004 : "Nous avons toujours une deuxième personne en nous qui lutte contre notre personne consciente... par exemple, un enfant qui ne fait plus rien à l'école peut très bien répondre à une deuxième personne qui lui interdit de bien faire à l'école : tu ne dois pas réussir pour ne pas dépasser la grande soeur qui est bonne élève, ou encore tu dois échouer en classe pour ne pas dominer ton père qui, lui, a fait de brèves études..." Et le coanimateur de dire : "Mais cette deuxième personne en nous peut aller contre ce que nous voulons ?..." La réponse est définitive : "C'est une personne inconsciente, difficile à retrouver, seule la psychanalyse peut vous y conduire..."
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(108) Le Parisien, 6 octobre 2004
(109) Féminin Psycho, "Spécial parents" , septembre, octobre et novembre 2004
(110) G. George, Mon enfant s'oppose, Paris, Odile Jacob, 2000, rééd 2002. 15 €
Pédiatres et psys
Pour les professionnels, la grille de lecture psychanalytique est forcément satisfaisante. Je me souviens de ma fascination pour Le Cas Dominique (111) lorsque j'étais étudiant en psychologie. Comment ne pas être enthousiasmé par cet adolescent libéré de sa schizophrénie en 12 séances. J'ai retrouvé le livre, relu toutes mes annotations en marge : "essentiel", "la force de l'inconscient", "un oedipe raté".
L'inconscient était là, omniprésent. Derrière les comportements les plus aberrants, il existait toujours une explication cachée, un "sens" que nous découvrions peu à peu. Nous avions l'impression d'entrer dans un monde jusque là inaccessible, et cela semblait si lumineux. D'ailleurs, sur un des sites dédiés à Françoise Dolto, un titre parle de lui-même : "Le miracle Dolto". Et l'auteur de nous rappeler cette histoire d'un petit enfant psychotique pour qui la machine à coudre de la maman était le symbole de l'absence du père. Rien dans le réel, tout se passe symboliquement, dans la construction invisible de l'inconscient, et seuls quelques initiés pourront vous donner les clés de sa révélation.
Les difficultés d'apprentissage s'expliquent donc prioritairement par une déficience dans la construction de la personnalité de l'enfant, par un lien défavorable à la mère. L'hypothèse pédagogique n'est, elle, que secondaire. Les spécialistes préfèrent comprendre que les troubles comme la "labilité d'attention" et les attitudes d'échec traduisent un "Surmoi rigide et pathologique", que l'"inhibition" est liée à une pathologie phobique et que les "troubles de la mémoire" correspondent à certaines structures hystériques, que les "ruminations intellectuelles" signent un dysfonctionnement obsessionnel et que le symptôme d'agressivité relationnelle à l'école est souvent lié à une organisation dépressive de la personnalité.
Quant aux difficultés d'apprentissage des mathématiques ou dyscalculie, elles sont encore interprétées en tant que pathologies de la "relation" !
Aujourd'hui, les parents viennent trouver sans tabou les professionnels de la santé mentale, psychologues, pédopsychiatres, autrefois réservés aux enfants souffrant de pathologies. Puisqu'on leur a appris qu'il y avait "autre chose" qui se construisait malgré ou à cause de leur éducation, autant s'adresser à ceux qui "savent". Dans notre culture, dès que l'enfant "a un problème", c'est qu'il y a quelque chose en dessous : les enseignants alertent les psys dès la moindre démotivation scolaire, les parents courent voir le spécialiste pour qu'il aide leur enfant à s'alimenter mieux, à se coucher tôt, à mieux se concentrer sur les devoirs... bref, à pallier leur non-savoir-faire éducatif. L'inconscient est en jeu, cela ne les concerne plus.
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A l'école
Le contenu des études de psychologie dans les années 1970, que ce soit en éducation spécialisée, en sciences de l'éducation, en psychologie et psychopathologie, était centré sur la psychanalyse. Aujourd'hui, si l'on consulte sur internet les programmes enseignés en IUFM, Instituts régionaux de travailleurs sociaux, et différentes universités, on ne voit pas grand changement. Il existe des ouvertures - les neurosciences notamment retrouvent leurs lettres de noblesse -, mais dès qu'il s'agit de psychopathologie, aucune référence aux approches autres que psychanalytique. De la classe de terminale (en philosophie et en lettres) aux études universitaires, l'élève n'apprendra qu'une chose : seule la psychanalyse soigne les problèmes psychiques. Qu'il devienne enseignant, assistant social, éducateur ou psychologue, il ne connaît que le discours unique. Qu'il décide de devenir journaliste, il ne retiendra que l'enseignement unique, d'où le discours freudien de nombreux rédacteurs et interviewers "psy" des revues dites spécialisées qui ne sont, par la majorité de leurs articles, que des magazines de psychanalyse appliquée, souvent par ignorance des autres approches.
Il y a une dizaine d'années, j'ai été invité dans un IUFM, et j'avais critiqué Françoise Dolto ; aucune autre invitation depuis. Malgré 3 ouvrages sur la démotivation scolaire et l'éducation. Puis, il y a deux ans, j'ai eu l'outrecuidance d'interpeller un responsable pédagogique de l'IUFM de ma région lors d'une émission de télévision régionale : pourquoi enseignez-vous encore Dolto ? Ma question n'obtint aucune réponse, mais surtout des regards désapprobateurs des invités et des animateurs. J'avais la sensation d'être réactionnaire !... Pourtant, contester la pensée unique, n'est-ce pas plutôt révolutionnaire ?
(111) F. Dolto, Le Cas Dominique, Paris, Le Seuil, 1977
Françoise Dolto fait connaissance avec Jacques Lacan en 1939. Il la supervise lors de ses débuts de psychanalyste. Ensemble ils créent une dissidence de l'Ecole Psychanalytique Française en créant, en 1963, l'"Ecole Freudienne de Paris". Elle lui reste fidèle jusqu'au bout.
Françoise Dolto en 1977 à France Inter avec Jacques Pradel et Catherine Dolto, sa fille. Photo : France Inter
Regardons le cas de Sébastien, 10 ans (112) : "Enfant très nerveux, indisciplinable, menteur, autoritaire. Il n'apprend rien en classe, le maître ne peut plus le supporter..." Ses conseils : "Ne pas lui dire deux fois [à l'enfant] de se lever pour aller à l'école. Tant pis s'il ne se lève pas... (113)" S'il y a blocage, il ne faudrait pas contraindre l'enfant... Peut-être, pour certains. Mais non pour beaucoup d'autres. Le problème de Sébastien viendrait d'une culpabilité devant des actes de masturbation : "Il s'agissait bien d'une angoisse de castration. [...] Sébastien projette sur les autres la responsabilité [...] il accumule des sentiments de culpabilité qui, ajoutés à son angoisse de castration, cherchent un apaisement qu'il trouve dans la punition provoquée par des scènes ridicules à propos d'indocilités puériles et de négativisme systématisé."
Autre cas Didier, 10 ans et demi (114), souffrant d'un "retard scolaire considérable"..."A la lecture, nous comprenons que le petit Didier a bénéficié au départ d'une bonne évaluation de son potentiel et que les séances de soutien et de revalorisation ont du participer pour beaucoup aux "déblocages" et à l'actualisation de ses capacités. L'interprétation fuse aussitôt : le pronostic de Didier est bon, "[...] mais au point de vue sexuel, la puberté étant proche, Didier ne nous paraît pas capable, avec la mère qu'il a, de résoudre la question autrement que par l'homosexualité manifeste. Ceci dans le cas le plus favorable, car chez lui, l'homosexualité représente la seule modalité inconsciemment autorisée par son Surmoi, calqué sur le Surmoi maternel."
Cela pourrait presque devenir comique, mais c'est sérieux. "L'oedipe tardif réussit mal à l'école... de nombreux problèmes scolaires trouvent ainsi leur origine dans des désirs oedipiens non résolus." (115)
Que nous dit la théorie psychanalytique sur la scolarité de l'enfant ? Qu'il n'y a pas d'adaptation à l'école si le complexe d'oedipe persiste. Elle nous dit aussi qu'un enfant de 6 ans qui entre en classe de CP peut investir le scolaire, parce que sa sexualité serait mise en sourdine dans cette période de "latence". Drôle de "latence" ! Comme si tout se passait sans heurts, à cet âge, alors que, bien au contraire, le jeune enfant entre dans une période de "turbulences" : premières acquisitions difficiles à l'école, compétitions avec les pairs, sortie de la petite enfance.
Mais attention ! Si l'enfant est encore trop attaché à sa mère (ce qui arrive très souvent à cet âge), cela signifie qu'il n'a pas désinvesti ses "relations oedipiennes" et qu'il sera incapable d'avoir une nouvelle "relation d'objet" avec son enseignant. Il faudra donc consulter un psychanalyste pour régler à tout jamais la question oedipienne, sinon, l'enfant s'enfoncera dans les dysfonctionnements.
Les parents tombent facilement dans le panneau analytique : toute difficulté scolaire révèle un problème sur le plan relationnel. Alors qu'on pourrait faire tout autrement et procéder à une analyse fonctionnelle du problème pour examiner le dysfonctionnement scolaire dans sa totalité. Il s'agirait alors d'une approche :
- - Opératoire : comment l'enfant apprend-il ? Avec quels outils ? Comment s'en sert-il ?
- Contextuel : où et avec qui dysfonctionne-t-il ?
- Affective ou "conative" : quelle attitude a-t-il devant les difficultés d'apprentissage ? Comment se motive-t-il ou se démotive-t-il ?
- Éducative : quelle est l'influence de l'éducation parentale sur son acceptation des contraintes scolaires ?
Je suis psychologue cognitiviste, et je sais bien que l'opération, comme on l'appelle (opérer sur l'environnement concerne bien l'apprentissage), est interactionnelle (dans la relation aux autres) affective (dans le vécu émotionnel) et instrumentale (avec les "outils" du fonctionnement opératoire ou mental).
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A la maison
La psychanalyse a tellement imprégné notre culture que la plupart des parents considèrent comme une vérité révélée l'existence du complexe d'Oedipe ou des différentes phases qui jalonnent le développement de l'enfant. L'alimentation (sein ou biberon), l'acquisition de la propreté, la naissance d'un autre enfant, tout est un enjeu essentiel, un moment à ne pas rater au risque de laisser à jamais des cicatrices indélébiles dans l'inconscient de l'enfant.
Nos enfants suivraient un parcours déterminé. Nous apprenons tous, parents, éducateurs, psys et enfants (en classe de philo), qu'il existe des stades incontournables du développement psychique : stade oral, anal, oedipien, phallique, et la fameuse crise d'adolescence. Et, quoique nous fassions, ce n'est pas notre action mais la problématique inconsciente qui déterminerait la réussite à tel ou tel stade, l'intégration, inconsciente, d'une étape d'évolution ou la volonté de régression. Quelque chose nous dépasse.
Une conception qui date
Françoise Dolto était médecin psychiatre dans les années 1970. Souvenons-nous du contexte. Pour la première fois, nous entendions un expert nous dispenser de ce respect absolu des parents jusque là enseigné. Comment ne pas adhérer à quelqu'un qui contestait enfin la sacro-sainte famille ?... Il y avait eu Marx et sa volonté de se rebeller contre le système capitaliste et son exploitation de l'homme par l'homme ; Freud nous avait ouvert les yeux sur le refoulement sexuel général des décennies précédentes ; il ne nous restait qu'à vaincre les diktats familiaux, l'autoritarisme des pater famillias ou des matrones en tout genre.
Françoise Dolto a connu la génération des actuels quinquagénaires (ndlr, l'auteur parle en 2004 des personnes nées dans les années 50), les gifles qui partaient, parfois sous n'importe quel prétexte, à la maison. Elle a subi ce manque de communication, cette absence de dialogue quand elle aurait tant aimé pouvoir parler, partager. Elle se souvient de ces peurs au ventre quand il s'agissait du bulletin trimestriel. Elle sait à quel point il pouvait être dur de ne pas exister dans un repas de famille, d'avoir à subir les quolibets, les remarques cinglantes des adultes. Certains parents avaient déjà perçu le bien-fondé du respect de l'enfant et savaient allier autorité (on ne fait pas ce qu'on veut quand on est enfant) avec une tolérance éducative (deviens ce que tu dois devenir). Ceux-là n'avaient pas besoin de leçon éducative de la part des psys. Mais les enfants qui avaient grandi dans l'après-guerre avaient souvent été niés par le monde des grands. Devenus adulte, ils ne pouvaient qu'acquiescer au propos de cette praticienne qui disait tout haut ce qu'ils avaient souffert tout bas ; l'enfant existe, il a besoin d'un regard positif pour grandir et s'épanouir. Désormais, les nouveaux parents allaient tout faire pour que l'enfant soit heureux, reconnu, autonome.
Comme beaucoup de gens de ma génération, j'ai admiré ces nouvelles théories. Dolto, elle-même, était victime de ces mères rejetantes : elle disait combien elle avait souffert au décès de sa soeur aînée Jacqueline. A la perte de cette soeur, s'était rajouté cette réflexion cinglante de sa mère qui aurait préféré que ce soit elle, la petit Françoise alors âgée de 12 ans, qui disparaisse. Un trauma affectif réel et plus tard la rencontre avec l'interprétation psychanalytique qui expliquera tout. La mère abusive à l'origine du mal-être de la jeune Françoise Dolto. Qui n'a pas retrouvé à un moment ou un autre de telles blessures causées par des maladresses parentales ? A cette époque, elles étaient légion : l'enfant était souvent le bouc émissaire de tensions familiales et il devait subir le monde adulte pour se forger un caractère.
Pour Françoise Dolto, tout sera désormais fait pour protéger l'enfant victime du monde adulte et de ses abus de pouvoir. Ce que sa fille, Catherine Dolto-Tolich, résume si bien : "Avoir su imposer sa vision de l'enfant comme sujet désirant dès la conception, avoir fait entendre la souffrance des tout-petits en leur rendant ainsi leur dignité, avoir introduit comme une notion primordiale le respect de leur personne, constitue sa victoire sur l'enfant douloureuse qu'elle fut."
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(112) F. Dolto, Psychanalyse et pédiatrie, Paris, le Seuil, 1971
(113) Ibid
(114) Ibid
(115) J-C. Liaudet, Dolto expliquée aux parents, Paris, l'Archipel, 1998, et J'ai Lu, 2001.
"L'oedipe tardif réussit mal à l'école... de nombreux problèmes scolaires trouvent ainsi leur origine dans des désirs oedipiens non résolus."
Jacques Lacan, 1901-1981
Il remet lui-même totalement en cause la psychanalyse dans son dernier séminaire de Bruxelles en 1977 :
"Le réel est à l’opposé extrême de notre pratique. C’est une idée une idée limite de ce qui n’a pas de sens. Le sens est ce par quoi nous opérons dans notre pratique : l’interprétation. Le réel est ce point de fuite comme l’objet de la science (et non de la connaissance qui elle est plus que critiquable) le réel c’est l’objet de la science. Notre pratique est une escroquerie, du moins considérée à partir du moment où nous partons de ce point de fuite. Notre pratique est une escroquerie : bluffer faire ciller les gens, les éblouir avec des mots qui sont du chiqué". Répondant à un journaliste en 1981 à propos de ces déclarations fracassantes, il maintient : "Commencer à savoir pour n’y pas arriver va somme toute assez bien avec mon manque d’espoir".
I. Que dit la psychanalyse sur l'enfant ?
Les "stades" de l'évolution de l'enfant
L'Inconscient - et ses stades d'évolution - est le même pour tous : pour chacun une lecture unique. Tout le monde a entendu parler des stades oral, anal, phallique. Comme le souligne Jacques Van Rillaer, cette théorie n'est pas dépourvue d'intérêt ni de bénéfices (116) :
- la phase orale, durant laquelle prédomine la zone buccale, permet de rappeler l'importance de la façon de nourrir,
- la phase anale, caractérisée par l'apparition des dents, le renforcement de la musculature et la maîtrise des fonctions sphinctériennes, contribue à supprimer les sentiments de honte liés à la défécation,
- la phase phallique, dominée par le pénis et par le clitoris, déculpabilise les jeux sexuels des enfants.
Cela étant, qu'est-ce qui nous dit que ces hypothèses sont fondées ? Où sot les observations, les études qui valident ces propositions ? C'est la question posée par Jacques Lecompte (117) :
Peu importe au psychanalyste qu'il n'y ait pas d'hormone sexuelle secrétée dans tout le corps, et donc y circulant. Peu leur importe également qu'on puisse trouver fort étrange cette affirmation péremptoire qu'a lancé Freud : "Les glandes sexuelles ne sont pas la sexualité (118) "
Parler de "sexualité orale" n'a pas davantage de sens, étant donné l'absence de substance sexuelle au niveau de la bouche. Mais, fidèle à ses carambolages de notions invérifiables, Freud affirme que le besoin de satisfaction que le nourrisson exprime lorsqu'il suçotte prouve bien que "ce besoin peut et doit être qualifié de sexuel" (119)
Comme il est également regrettable que beaucoup d'autres étapes du développement de l'enfant se trouvent réduites, voire oubliées devant cet incontournable développement psychosexuel. Quid de la socialisation de l'enfant, sous-entendu pendant la période de latence : n'est-elle pas un tournant important de l'évolution de l'enfant dans ses rapports à l'autre ? Idem pour pour l'acquisition du jugement moral, l'époque des apprentissages scolaires, etc. C'est cela qui choque : tout ce qui est réel est mis au second plan, ce qui importe est de signifier que la construction psychologique se fait en dehors de la réalité, inconsciemment, à des moments clefs de l'évolution sexuelle, à des stades où tout ratage génèrera refoulement, donc pathologie. Tout est "logique" pour les Freudiens : les stades de l'évolution de l'enfant ne répondent qu'à l'unique hypothèse de la suprématie de la libido dans le développement. Seul l'aspect pulsionnel est pris en compte.
Une autre obligation se fait jour : tout être humain doit évoluer selon ces étapes dans une chronologie absolue, sinon, c'est la névrose ! Que fait-on des "décalages horizontaux" (tout individu, dans tout modèle général, signifie sa spécificité dans le stade qu'on lui propose) et des "décalages verticaux" (l'homme n'évolue pas selon le modèle voulu et traduit souvent des précocités ou des retards de maturation) ?
Comment peut-on définir un modèle général du développement psychique de l'enfant ? Les enfants ont des tempéraments différents, un code génétique différent, nos ne pouvons pas négliger toutes ces disparités. Outre le milieu social qui interagit toujours avec lui et qui ne saurait être le même pour tous, outre sa propre expérimentation du milieu, nous ne pouvons éviter de parler de tempérament, d'inné. Il est non seulement question, bien sûr, des tempéraments introvertis ou extravertis, mais aussi des attitudes. Entre des attitudes infantiles d'anxiété, de dévalorisation ou d'intolérance aux frustrations, que de différences ! Et que d'attitudes parentales différentes nécessaires !
Certains diront que le modèle n'est qu'un cadre, que chaque être humain traverse ces différents stades selon sa maturation ; ainsi, suivant l'humeur du spécialiste, nous allons trouver des complexes d'Oedipe précoces, à trois ans, ou tardifs, à l'adolescence... Une fois de plus, tout est fait pour correspondre à la théorie et éviter toute critique : le modèle devient "spécifique" et n'est donc plus "général" !
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(116) J. Van Rillaer, Les Illusions de la Psychanalyse, Wavre, Belgique, Mardaga 1980
(117) Science et Vie, No 885, juin 1991, page 56
(118) Cité par G. Mendel, La Psychanalyse revisitée, Paris, La Découverte, 1988, p. 201
(119) S. Freud, Abrégé de Psychanalyse, op.cit p. 14
L'inconscient de votre enfant
Voici à peu près le discours induit par les théories psychanalytiques : parents, vous ne pouvez pas voir votre enfant tel qu'il est. Ce qu'il fait, ce qu'il vous montre n'est qu'apparent : une autre personne, vraie celle-là, se construit en parallèle de la réalité. Et cette identité inconsciente s'est forgée dans les toutes premières années de l'enfance, quand ce n'est pas dans les tous premiers mois, jours ou moments de la conception. De Mélanie Klein (120) à René Spitz (121) et Françoise Dolto, le déterminisme règle chez les fondateurs de la psychanalyse des enfants :
Pourtant les croyances n'ont pas besoin de preuves. Lorsqu'il s'agit de psychanalyse, la véracité des propos n'est jamais réclamée. C'est tout l'inverse pour les autres disciplines. Je me rappelle cette critique de mon directeur d'études lorsque je préparais ma thèse et m'insurgeais quelque peu contre les différences de traitement pour doctorants. Je me plaignais qu'un seul cas suffise à valider la thèse d'un doctorant en psychopathologie (option psychanalytique) alors que j'étais astreint à des groupes témoins savamment échantillonnés pour vérifier quelques hypothèses de travail en psychologie développementale. Ce n'était pas la même chose, la psychopathologie n'exigeait pas les nouvelles normes expérimentales du doctorat. J'étais dans le domaine scientifique : pour moi, c'était inévitable d'opérationnaliser mes hypothèses de travail pour les valider... Quant aux autres doctorants, point de preuves à fournir...
Derrière le "rien n'est instinct, tout est langage" de Françoise Dolto, on comprend que l'enfant ne saurait être considéré comme un petit animal à dresser, ce qu'il ne viendrait à l'idée de personne de remettre en cause. Mais l'enfant manifeste aussi des comportements pulsionnels très primaires que le parent se doit de réguler, et qui ne procèdent pas d'un sens caché. Un enfant qui réclame constamment de la nourriture ne révèle pas forcément un déficit affectif, un autre qui exige constamment des jeux ne traduit pas pour autant une demande relationnelle. Les enfants sont le plus souvent victimes de leur principe de plaisir, et, si nous les laissons faire, il y a fort à parier qu'ils ne cesseront de manger, de jouer, qu'ils refuseront tout frein à leur désir d'omnipotence et surtout toute contrainte ou frustration à venir.
Ce n'est pas enfermer l'enfant dans un statut de "pervers polymorphe", c'est tout simplement être lucide sur la maturité de l'enfant : il deviendra mature, mais cela ne se fera ni rapidement, ni naturellement. Cela se fera avec l'éducation des adultes. "Un homme, ça s'empêche", cette réflexion du père d'Albert Camus (124) définit bien ce que n'est pas encore l'enfant et ce qu'il est réellement. Un homme en devenir, mais pas encore un adulte. Il ne peut donc "s'empêcher" tout seul (se frustrer volontairement pour s'accommoder au principe de réalité). C'est déjà dur pour les adultes, alors pourquoi laisser l'enfant seul pour gérer ses pulsions et son principe de plaisir ?
Par ses actes, l'enfant veut-il toujours signifier quelque chose ? C'est parfois le cas, mais pas toujours. Quel praticien n'a pas rencontré un enfant qui refusait d'aller se coucher ou de manger à la suite d'un déménagement mal préparé ? Quel parent n'a pas vécu les angoisses du dimanche soir chez son enfant, avant la fameuse reprise de l'école le lundi ? Et que dire des mots de ventre avant le devoir surveillé ? Mais, très souvent, il n'existe aucun sens caché derrière des comportements ou attitudes infantiles apparemment significatifs. Un petit enfant peut hurler dans un supermarché uniquement parce qu'il veut la friandise refusée. Un autre peut faire des histoires au moment du coucher parce qu'il ne veut pas quitter le monde adulte et ses loisirs, une émission de télévision par exemple. Au repas, il peut rejeter un mets nouveau parce qu'il ne veut pas manger autre chose que du sucré et du mou. Idem à la cantine, il peut refuser le repas de l'école parce qu'il n'aime pas ce qu'on lui propose, et non parce qu'il évite une situation relationnelle angoissante. Un enfant peut négliger une matière scolaire parce qu'il excelle dans la matière qu'il aime et n'écoute pas dans celle qu'il apprécie peu. Idem dans une activité de loisir : il peut arrêter tel sport parce que l'entraineur ne lui convient pas et non parce qu'il souffre d'un quelconque de l'adulte ou de ses pairs. La liste serait trop longue (125) pour bien cerner ce qui appartient à la souffrance réelle de l'enfant où à la simple intolérance aux frustrations.
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Psychiatre et psychanalyste d'origine hongroise formé à Vienne, il fit carrière aux Etats-Unis. Il observa les nourrissons et décrivit les stades de développement psychique. On le connait pour ses notions de "bonne mère" et de "mauvaise mère".
(122) Emission Lorsque l'enfant paraît, op.cit.
(123) B. De Boysson-Bardies Comment la parole vient aux enfants, Paris, Odile Jacob, 1996
(124) A. Camus, Le premier homme, Paris, Gallimard, 1994
(125) D. Pleux, De l'enfant roi à l'enfant tyran, Paris, Odile Jacob, 2002, disponible aussi en poche