La publicité du Valdoxan
Prix de la boîte : 41 € pour 28 comprimés
Résumé
Servier, le laboratoire français bien connu (1), a obtenu en 2009 l'AMM (2) pour le Valdoxan, un antidépresseur d'un nouveau genre. 2009, l'année où le Mediator a finalement été retiré des ventes par l'ANSM. Coincidence ? Présenté aux prescripteurs comme "équivalent" en terme d'efficacité, mais "sans les effets secondaires de ses concurrents", ce candidat au marché énorme du remplacement des vieux antidépresseurs passant dans le domaine public, aurait moins d'effets secondaires. Les problèmes de dérégulation du sommeil, de sédation et de baisse de libido de ses concurrents, sont l'argument de vente majeur.
Le revers de la médaille : des risques hépatiques notoires, ayant obligé le célèbre laboratoire à écrire à tous les médecins, en septembre 2012, puis, comme cela ne suffisait pas, à nouveau en octobre 2013, soit 4 ans après la commercialisation, pour leur "rappeler" qu'une surveillance hépatique étroite est indispensable. La notice du médicament (3) a du être réécrite en juin 2014. L'autre revers est que cet antidépresseur est très peu efficace contre... la dépression.
Ce qui est curieux c'est que personne n'en parle. Les psychiatres français qui épluchent la littérature et rédigent de longs articles sur les antidépresseurs, se taisent sur le Valdoxan... Nous allons combler cette lacune et rappeler qui fait quoi, qui est qui. Cet article est le premier d'une longue série qui tentera de mettre au clair, dans un langage simple, la réalité de chaque médicament. Toute contribution sera évidemment la bienvenue. Cet avis ne remplace pas une consultation chez votre médecin.
Notes et références
(1) Affaire du Mediator: 500 décès au moins en France, des suites des "effets indésirables" de ce coupe-faim.
(2) AMM : Autorisation de Mise sur le Marché, délivré par l'Agence Nationale de Sécurité des Médicaments et produits de Santé - ANSM
(3) La notice officielle : un dictionnaire édifiant d'effets secondaires
Un antidépresseur inefficace contre... la dépression
Le document de présentation par le laboratoire aux médecins, a été rédigée par la société EUTHÉRAPIE (4).
Vous ne serez pas étonnés que cette notice annonce des études incroyablement poussées (7.900 patients au total) pour des résultats "excellents", surtout si les doses sont fortes, selon Euthérapie.
Ces résultats ne correspondent pas, curieusement, aux tableaux beaucoup plus clairs cités par la Commission de la transparence gouvernementale (5). Méthodologie de cette étude de phase III (la dernière phase avant AMM) : assez bonne, randomisée en double-aveugle (indispensable pour éviter le biais d'interprétation par le médecin et le patient), mesure sur l'échelle de dépression Hamilton.
On constate donc que l'agomélatine-Valdoxan ne fait guère mieux que le placebo !
L'amélioration mesurée par rapport au placebo, sur l'échelle Hamilton de la dépression, doit être d'au moins 3 points aux USA, 2 en Europe, les deux écoles s'accordant sur le fait qu'une amélioration de seulement 3 points est "peu significative".
L'ANSM le dit elle-même, et pourtant autorise le médicament (6). En gros, ce médicament n'est pas très utile, voire dangereux pour le foie, mais comme il est moins gênant pour la libido ou pour le sommeil que d'autres, les gens vont mieux l'accepter, et donc allez-y !
On relève dans l'avis HAS au passage que la première étude citée par la HAS (CL3-042 ci dessus) a été conduite en 2007 par Jean-Pierre OLIE, de l'Hôpital Sainte-Anne, directeur de la collection professionnelle "Psychiatrie" aux éditions Lavoisier. Donc avant l'AMM, et en plein scandale du Mediator. Nous lui avons écrit en août 2014 pour demander des explications sur des incohérences de déclarations de liens d'intérêt pour des auteurs connus de 2 ouvrages, liens déclarés en 2013 mais pas en 2014... (7).
Voici maintenant les résultats de l'étude comparative avec Fluoxétine-Prozac et Paroxétine-Deroxat, et placebo, phase III (sauf la CL3-014, phase II de 2002) . :
C'est encore pire : on constate donc que l'agomélatine-Valdoxan ne fait pas mieux que les antidépresseurs de référence, fluoxétine (Prozac@), paroxétine (Deroxat@) devenus génériques, qui eux même ne font pas mieux que le placebo ! Les scores d'amélioration ne justifient pas l'AMM. (la Food & Drug Administration exige un écart de 3 points par rapport au placebo), et à peine en Europe (l'EMA, Agence européenne du médicament, exige une différence de 2 points).
La méthode reste correcte : randomisée en double-aveugle. Cette fois-ci, l'ANSM ne dit pas qui a mené les études.
Finalement, les 41 € au moins par mois que vous dépenserez ou ferez dépenser à la sécurité sociale pour du Valdoxan, servent à vous faire le bien psychologique "placebo" de vous sentir soutenu(e) par un médecin et un médicament. Bon, il risque de vous faire mourir d'une hépatite et de vous faire vivre certains "désagréments", dont la liste est longue (nous y reviendrons). Certes, il n'est pas le seul à avoir quantité d'effets secondaires... Mais ce n'est pas une raison pour l'autoriser !
C'est un peu comme si on vous vendait le nouveau modèle de porte-avion nucléaire suite au fiasco du Charles de Gaulle : "Le porte-avion Sarkozy, tombe également en panne et ne peut pas traverser la méditerranée, par contre il coule plus vite et c'est bien pour l'environnement - ... sauf pour l'aspect des émissions radio-actives, qu'il faudra surveiller de près - ; bien sur, pour tous ces avantages, et compte-tenu des millions dépensés en recherches, il sera bien plus cher mais vous conviendrez que c'est normal".
Les prescripteurs lisent-ils les notices et avis officiels des médicaments qu'ils nous donnent ? Car comment recommander un tel médicament ? Seul un médecin, l'un de ceux qui reçoivent 300 fois par an un visiteur médical ( 8 ), pourra nous l'expliquer.
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Un antidépresseur efficace, mais pas plus que les autres, contre les rechutes de dépression
Il faut être honnête et citer les mêmes études, concernant cette fois l'effet préventif de ce médicament, et des antidépresseurs en général, sur les rechutes dépressives.
Attention toutefois : de nombreuses mises en garde sont publiées ici et dans l'ensemble de la littérature sur les dangers de la prise à long terme des antidépresseurs, sur leurs contre-indications, et sur le bienfait, en association ou en remplacement pour certains troubles, des thérapies psychologiques sérieuses.
Voici les résultats officiels cités par la HAS :
Deux études qui se contredisent quant à l'efficacité préventive de rechute de cet AD. On notera que la seconde étude, favorable au Valdoxan, a été conduite par Frédéric Rouillon (voir ci-dessous), et donc, pour nous, suspecte.
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La parole à nos experts
- Frédéric Rouillon (9), Praticien et expert de la question des antidépresseurs dans l'indication des dépressions unipolaires, est très succint sur ce produit, au point d'oublier de le faire figurer parmi la liste des molécules ayant fait l'objet d'une AMM.
Ce qui n'est pas très fair-play dans un article se voulant neutre.
Pour ne pas trop paraître ignorant, il consacre toutefois à l'agomélatine 8 lignes à la fin des 12 pages que compte l'article, pour y résumer la notice de Servier. Substantiellement : "Valdoxan, c'est bien si les rythmes de sommeil sont perturbés, c'est pas bien en cas d'insuffisance hépatique, c'est un mode d'action original. Au suivant. ".
Il cite ses propres études sur d'autres AD, mais pas celle qu'il a conduite sur l'agomélatine-Valdoxan !
Frédéric Rouillon déclare dans le même ouvrage des "honoraires et une participation à des essais thérapeutiques" avec Lilly, Servier, Janssen, Lundbeck et Sanofi. La concurrence est rude, surtout après l'affaire du Médiator.
Pauvre Servier, il y a des jours où l'on a l'impression de ne plus avoir d'amis. - Julien Yadak et Antoine Pelissolo. Praticiens et experts de la question des antidépresseurs vis à vis des troubles anxieux.
En 16 pages qui examinent la quasi-totalité des molécules existantes, même non autorisées en France, et pas moins de 118 notes bibliographiques dans ce chapitre de référence destiné aux professionnels de santé, ces éminences ne disent pas un mot de l'agolamétine-Valdoxan.
Certains silences sont assourdissants : A. Pelissolo déclare dans le même ouvrage des "collaborations scientifiques" avec Lilly, Euthérapie et Lundbeck, et, dans cet article, ne tarit pas d'éloges sur l'Escitalopram (Soreplex, Lundbeck).
On se demande pourquoi. - Pierre-Michel LLORCA. Dans le long chapitre 19 de 10 pages sur les effets indésirables des antidépresseurs, écrit en 2013 (9), ce professeur connu, qui reconnait "être consultant pour les laboratoires Astra Zeneca, Lilly, Lunbeck, Servier et Sanofi", cite et étudie en détail les effets indésirables de pas moins de 25 antidépresseurs... sans parler une seule fois de l'agomélatine-Valdoxan !
Cet article pourtant remarquable en apparence, est ainsi discrédité.
Manifestement, les très nombreux liens d'intérêt de Pierre-Michel LLORCA l'incitent à ne pas parler de certains médicaments autorisés dont l'agomélatine qu'il connait forcément, étant "consultant pour Servier".
On pourrait multiplier à l'envie ces témoignages d'ingratitude de la communauté savante désintéressée au bienfaiteur Servier.
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Mais que fait la police ?
La police du médicament en France, c'est l'ANSM, ex AFSSAPS. Un film nous explique (11), interviews à l'appui, pourquoi il est si facile d'obtenir une AMM, et si difficile de la retirer.
La chronologie des faits relatifs au Valdoxan, nous montre bien que l'ANSM, qui reconnait être composée de personnes ayant des liens étroits avec les laboratoires, ne parvient pas à ne pas donner d'autorisation à des médicaments peu utiles, voire dangereux.
Comme dans nombre d'affaires, on compte sur la "pharmacovigilance" pour connaître les effets secondaires mieux qu'à travers les études précommercialisation peu regardantes. Ou alors un scandale, comme celui du Mediator ou de la Depakine, fera réagir et interdire ou limiter en urgence.
Nous réitérons, avec à l'appui, entre autres, les constats de cet article, notre demande de couper les relations entre laboratoires et psychiatres, qu'ils soient libéraux, hospitaliers, professeurs, membres de la commission d'AMM, ou membres de l'ANSM.
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(4) Cette société dont le siège se trouve à côté de celui de Servier (Suresnes), est une société écran entre le laboratoire Servier et les médecins , qui sont donc souvent payés indirectement par Euthérapie mais avec plus de discrétion. Il n'est en effet plus très bon d'avouer des liens d'intérêt avec Servier, par contre il est difficile de renoncer aux avantages...
(5) Document accessible aussi, par obligation légale, sur le site de Servier
(6) Consulter l'avis officiel de l'ANSM, 2009
"Progrès mineur dans la stratégie thérapeutique (...) Son efficacité est modeste, mais une bonne tolérance, à l’exception des effets hépatiques, est susceptible de favoriser une meilleure adhésion au traitement. (...) Le service médical rendu par VALDOXAN dans le traitement de l'épisode dépressif majeur est important. (!?) (...) Compte tenu d'une bonne tolérance susceptible de permettre meilleure adhésion au traitement antidépresseur et malgré une efficacité modeste, VALDOXAN apporte une amélioration du service médical rendu mineure (ASMR IV) dans la prise en charge de l'épisode dépressif majeur (c'est à dire caractérisé)."
(7) Voir notre article Conflits d'intérets entre psychiatres et laboratoires, le jeu des 7 erreurs"
( 8 ) Chiffre communément admis : les laboratoires dépensent chaque année 25.000 euros par médecin en France, en incluant les invitations aux séminaires hôteliers, petits cadeaux et autres "formations".
(9) "Les antidépresseurs", Lavoisier 2013, 405 pages, chapitre 13 "Traitement des épisode dépressifs unipolaires". Traitement des épisode dépressifs unipolaires.
(10) "Les antidépresseurs", Lavoisier 2013, 405 pages, chapitre 16 .
(11) A voir dans notre article "Les nouveaux médicaments sont-ils meilleurs que les anciens ?"