Strasbourg : mainlevée de l'hospitalisation psychiatrique abusive de Simon, été 2015
L'histoire
Le 24 juillet 2015, dans un petit immeuble du sud de Strasbourg appartenant à une famille d'artistes, se produit une scène de dispute entre Simon, 22 ans, et sa compagne. Simon saisit un accessoire de théatre - un fusil d'avant guerre déchargé - et, sans le pointer sur quiconque, va et vient en déclamant ses complaintes face à sa petite amie, fusil à la main.
Un voisin - on ne saura jamais pour quel réel motif - alerte alors la police "un forcené armé retient en otage des gens à telle adresse" téléphone-t-il.
Quelques minutes plus tard, le RAID, les pompiers, le Samu sont là. Ils bloquent la rue. Des tireurs d'élite sur les toits. Simon voit un point vert lumineux sur lui, et fait "coucou" avec sa main, ahuri. Le raid donne l'"assaut" mais toutes les portes sont ouvertes. Simon est interpellé, étonné mais ne résiste pas. Un infirmier dit à la mère de Simon "votre fils est bipolaire". Premier record de rapidité pour un diagnostic, de surcroit par un infirmier urgentiste non habilité à le faire, devant le regard médusé du médecin du Samu. Les policiers n'interrogent personne (la mère, la soeur, la compagne auraient témoigné que le fusil n'est pas chargé ni pointé sur quiconque) et embarquent Simon, direction l'hôpital psychiatrique de Strasbourg.
Les dernières (fausses) nouvelles d'Alsace battent à l'occasion le record du monde du diagnostic psychiatrique le plus rapide par un journaliste : une heure après l'interpellation, à distance, et sur la simple bonne foi du rapport de police. Qui plus est ce diagnostic est faux.
"La police est intervenue vendredi vers 10h30 dans un appartement de l’avenue de Colmar à Strasbourg où un individu s’était retranché avec une arme. Un témoin avait signalé sa présence vers 8h45 sur son balcon, un fusil à la main. Le Raid est intervenu, et a procédé à l’interpellation sans incident du jeune homme de 22 ans, qui se trouvait en possession d’un fusil de guerre sans munitions, et qui ne pouvait pas tirer. Sa mère, sa sœur et son amie se trouvaient avec lui dans le logement.
Atteint de bipolarité, le jeune homme a été hospitalisé en psychiatrie à l’hôpital civil."
Étant donné que la victime est reconnaissable par tous ses voisins, tant le bal des voitures de police, les pompiers, le blocage de l'avenue a mobilisé tout le quartier, les Dernières Nouvelles d'Alsace sont passibles de diffamation et de divulgation d'informations médicales pouvant gravement porter atteinte à la personne.
Les alsaciens désireux d'information attendent avec impatience que le Crédit Mutuel cesse de financer les DNA à fonds perdus, et s'informent désormais autrement.
Prise de sang à 24 heures de l'admission : un tube est perdu. Ce n'est que le 3 aout, 9 jours après sa médication forcée, qu'a lieu la première analyse de contrôle du taux de valproate (dépakote). Le taux maximum est de 100 mg/l, Simon en est à 127 mg/l. L'ordonnance, elle, est de 1500mg/ jour depuis le 29 juillet.
Simon proteste naturellement, et vigoureusement : il ne sait pas encore pas à quel sort sont vouées les personnes qui n'admettent pas docilement l'annonce brutale d'un grave "trouble mental". Simon n'a aucun "antécédent" et ne connaît pas encore le monde de la psychiatrie.
Mal lui en prend : il est attaché pendant 20 heures et découvre les effets du Loxapac (100 gouttes), de la dépakine (1500mg) avec la dose de Risperdal qui va avec (4mg). Trois jours plus tard, le 28 juilet, sa mère est enfin autorisée à lui rendre visite. Elle est horrifiée : il a la tête penchée, bave et tient à peine sur ses jambes. Dyskinésie latérale, et un malaise. Analyses de sang, dépakinémie, surdose avérée. Catherine, sa mère, n'est mise au courant de rien, mais réagit : elle contacte toutes ses connaissances, cherche un avocat, des témoignages : Simon est musicien et excellent élève, il travaille, le médecin de famille établit un certificat. Mais Catherine est également peu au fait des procédures et des droits de la personne internée en psychiatrie.
Dans ces conditions, l'audience devant le juge des libertés est planifiée pour 31 juillet, soit 7 jours après l'admission, c'est à dire de manière précipitée. L'hôpital tenait en effet à ce que Simon, qui commençait à retrouver ses esprits, ne puisse pas se préparer à l'audience et n'ait pas le temps d'organiser sa défense. Il faut rappeler que les HUS de Strasbourg sont régulièrement accusés, et parfois jugés, pour internement et pratiques abusives. Voir par exemple l'affaire de Mme C.
L'hôpital utilise aussi une pratique délétère, et que nous avons dénoncé maintes fois : l'arrachage de signature à un patient hautement sédaté, dès sa sortie de contention, au milieu de diverses formalités. Il lui fait ainsi signer un formulaire tout prêt, selon lequel il ne tient pas à comparaître à l'audience devant le juge des libertés !
Le jour venu, Simon se prépare tout de même à comparaître : habillé, il attend pendant trois heures dans les couloirs, qu'on le convie à l'audience. Peine perdue, son "papier" sera produit par l'hôpital au juge qui, peu regardant sur la procédure légale, décide du maintien en "soins" sous contrainte pour une durée indéterminée. Le juge suit en cela des certificats médicaux disant que Simon, qui est maintenant en pleine forme "fait de gros progrès mais, encore peu conscient de son trouble et de la nécessité de soins, doit poursuivre des soins sans consentement". Le juge ajoute même, en substance, que "le fait de ne pas vouloir comparaître prouve son mauvais état mental". Et voilà Simon condamné, par un enchaînement kafkaien, à perdre son travail, accessoirement ses vacances, alors qu'il se sent très bien. Ce qu'à demi mot reconnaissent les médecins, déjà perturbés par leurs propres contradictions, et tenaillés par la peur de libérer quelqu'un que le préfet a décidé d'interner sans enquête sérieuse. Et sans aucun diagnostic stable. On passe de "décompensation psychotique" à "bouffée délirante" et autres au gré des différents certificats qui n'ont de but que le maintien de Simon en "observation" et pour une "confirmation d'évolution favorable", étant bien entendu que ladite observation se fera en unité fermée et sous haute médication.
Notre avocat se saisit du dossier et procède en un temps record : on ne dispose en effet 10 jours pour faire appel d'une décision du Juge des Libertés et de la Détention. Tout le service sait que Simon fait appel. Les certificats médicaux se font de plus en plus embarrassés. Le Pr Bertschy, chef de service présente un "programme de soin à domicile et sous contrainte". C'est l'innovation Sarkozy de 2011, qui échappe à tout contrôle judiciaire, qui se prolonge indéfiniment, et qui n'est pas médicalement fondée . Le même nous avait affirmé un an auparavant qu'il n'approuvait pas cette pratique. Ni la contention d'ailleurs. On dit tout pour séduire l'auditoire, mais on fait le contraire lorsque l'on se croit à l'abri des regards....
Le juge de la Cour d'Appel libèrera Simon en annulant la décision du Juge des Libertés, mais cette décision ne lui sera notifiée que le 12 Aout, date de sa sortie effective. Les journées sont longue à l'HP, et Simon aura été détenu illégalement pendant 12 jours. De quoi demander réparation : à suivre.
Les suites de cette histoire
La résistance des patients et associations de patients, contre le système psychiatrique sécuritaire, semble être une lutte inégale, mais qui finira, et nous sommes pour cela déterminés et confiants, par mettre fin à ces pratiques inacceptables. Affaire après affaire, nous tissons notre réseau et nouons des alliances multiples, partout, pour que le droit soit respecté, et les traitements humanisés. L'opinion publique doit être informée des réalités, et vous, vous pouvez y contribuer en partageant cet article ou des articles similaires.
Pragmatiquement, nous conseillons à toutes les personnes ou familles se retrouvant dans pareille situation :
- de faire désigner immédiatement par la personne, un tiers de confiance, selon le modèle ci-contre. Le tiers de confiance pourra lors assister à la demande de l'intéressé aux entretiens médicaux, et évaluer correctement, ainsi, la situation, soutenir, effectuer des démarches, etc.
- de faire une lettre de rétractation, selon le modèle ci-contre, à tout document signé alors qu'il(elle) n'était pas en pleine possession de ses moyens. Cette lettre est à envoyer sous 7 jours au chef de service et au directeur de l'hôpital, et annule de plein droit tout "accord" qui aurait été arraché.
Parmi les cas rencontrés ici et là :- une fausse désignation de tiers de confiance pour un père souhaitant l'internement à longue durée de son fils, alors que ce dernier choisit sa mère,
- un accord pour des électrochocs,
- et maintenant un "renoncement à comparaître".
- de contacter urgemment une association de patients (et non de familles de patients) implantée localement, afin qu'elle vous dirige rapidement vers un(e) avocat compétent, et des psychiatres qualifiés pour un avis et un suivi externe plus adapté comme il est trop souvent nécessaire
- d'exiger si nécessaire un changement de médecin référent comme vous l'autorise la loi, et selon l'exemple ci-contre.
Le formulaire que les HUS font signer aux patients sédatés 3 jours après leur admission, pour qu'ils renoncent à rencontrer le Juge des Libertés
Liens utiles
- Désigner la personne de confiance
- Changer de psychiatre ou d'hôpital
- Obtenir la levée d'une mesure d'hospitalisation psychiatrique sans consentement à la demande d'un tiers (ASPDT ex HDT)
- Obtenir la levée d’une mesure de soins psychiatriques sans consentement pour non respect de la loi L3222-5-1 de 2016 sur la contention et l’isolement
- Obtenir la levée de la contrainte de soins à domicile
- Signatures forcées, comment se rétracter
- Porter plainte contre un hôpital psychiatrique
Le jugement
REPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAISCOUR D'APPEL DE COLMAR
CHAMBRE 1
RG.N° :15/04434
Minute N°
ORDONNANCE du 11Août 2015
dans l'affaire entre :
APPELANT:
Monsieur XXXXXXXXXXXXX
Hôpitaux Universitaires de Strasbourg
1Place de l’Hôpital - BP 426
67091 STRASBOURG CEDEX
comparant en personne, assisté de Me Tiffany CONEIN, avocat à la cour
INTIMES:
Monsieur le Préfet du Bas-Rhin
5 Place de la République
B.P. 1047
67073 STRASBOURG CEDEX
Monsieur le Directeur des Hôpitaux Universitaires de Strasbourg
Pôle Psychiatrie et Santé Mentale
1. Place de 1’ Hôpital - B·.P. 426
67091 STRASBOURG CEDEX
ni comparants, ni représentés
Ministère public auquel la procédure a été communiquée :
M. Jacques DOREMIEUX, Avocat Général
Nous, Bernard POLLET, Président de chambre à la cour d’appel de Colmar, agissant sur délégation de Madame la Première Présidente assisté lors des débats en audience publique du 07 Août 2015 de Corinne ARMSPACH-SENGLE Greffière et lors du prononcé de Christiane MUNCH-SCHEBACHER, Greffière, statuons comme suit par ordonnance réputée contradictoire :
Vu l'arrêté du préfet du. Bas-Rhin du 24 juillet 2015 ordonnant l’admission de M. Xxxxx Xxxxx en soins psychiatriques sous la forme initiale d’une hospitalisation complète,
Vu le certificat médical initial du Docteur Lecorche en date du 24 juillet 2015,
Vu le certificat médical de 24 heures du Docteur Meyer en date du 25 juillet 2015,
Vu le certificat médical de 72 heures du. Docteur Nicot en date du 27 juillet 2015,
Vu l’arrêté du préfet du Bas-Rhin du 27 juillet 2015 ordonnant la poursuite des soins psychiatriques de M. Xxxxxx sous la forme d'une hospitalisation complète,
Vu la requête du préfet du Bas-Rhin en date du 29 juillet 20l5 saisissant le juge des libertés et de la détention du Tribunal de Grande Instance de Strasbourg d’une demande de prolongation de la mesure d'hospitalisation complète,
Vu l’avis motivé du Docteur Meyer en date du 28 juillet 2015,
Vu l’ordonnance du juge des libertés et de la détention en date du 31 juillet 2015 ordonnant le maintien de la mesure d'hospitalisation complète de M. Xxxxx,
Vu la déclaration d’appel de M. Xxxxx en date du 4 août 2015, reçue le 5 août 2015,
Vu l'avis du ministère public en date du 6 aout 2015 requérant la conversion
de la mesure d hospitalisation complète en mesure de soins sans consentement et sans hospitalisation complète,
Vu les conclusions de l'avocat de M. Xxxxx en date du 6 août 2015 sollicitant à titre principal l'annulation de la décision déférée en raison de l'absence de M. Xxxxx à l'audience tenue par le premier juge, à titre subsidiaire la main levée de la mesure d'hospitalisation complète en raison des irrégularités affectant la notification à M. Xxxxx de ses droits et à titre plus subsidiaire une expertise psychiatrique,
Après avoir entendu à l’audience du 7 août 2015 M. Xxxxx et son avocat,
Sur ce
Attendu que l’article L.3211-12-2 du code de la santé publique dispose :
A l’audience la personne faisant l'objet de soins psychiatriques est entendue, assistée ou représentée par un avocat choisi, désigné au titre de l 'aide juridictionnelle ou commis d'office. Si, au vu d'un avis médical motivé, des motifs médicaux font obstacle, dans son intérêt, à son audition, la personne est représentée par un avocat dans les conditions prévues au présent alinéa.
Attendu qu'en l’espèce M. XXXXX n'a pas été entendu par le juge des libertés
et de la détention et a été représenté à l'audience par son avocat ;
Attendu toutefois que, selon certificat médical du Docteur Meyer en date du 28 juillet 2015, son état de santé autorisait son audition par le juge ; que M. Xxxxx déclare qu’il souhaitait être entendu par le juge mais que les dispositions n'ont pas été prises afin d’assurer sa présence à l’audience ; que, selon le certificat du Docteur Meyer du 6 août 2015 suite à une erreur de transmission dans le service de l'hôpital M. XXXXX n'a pas pu rencontrer le juge le 3 aout 2015 alors que cette rencontre était prévue ;
Attendu que l'audition de la personne hospitalisée est une formalité essentielle pour permettre à l'intéressé d1exprimer sa position et de faire valoir ses droits et pour permettre au juge de constater son état de santé ; que le non respect de cette formalité entraine la nullité de la décision rendue dans ces conditions ;
Attendu que, le délai de douze jours à compter de l'admission de M, Xxxxx sous le régime de l’hospitalisation complète était expiré depuis le 6 aout 2015, la mainlevée de la mesure est acquise en application des dispositions de l'article L. 3211-12-1, IV du code de la santé publique ;
ANNULONS l'ordonnance rendue le 31 juillet 2015 par le juge des libertés et de la détention du tribunal de grande instance de Strasbourg ;
CONSTATONS que la mainlevée de la mesure d'hospitalisation sous soins
contraints dont fait l'objet M. Xxxxx Xxxxx est acquise
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