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Bientraitance en psychiatrie : définition

Par Neptune 

le 15/02/2014 

0 lectures

CHAPITRE 20


Bientraitance et psychiatrie
Comment changer l'ordre
du discours ?

Catherine Deliot, Aude Caria, Céline Loubières
(1)(2)(3)
La patiente : « Comprenez bien docteur, vous et moi
nous formons une équipe. »
Le psychiatre : « Ah bon ? Et vous faites quoi dans
l'équipe, vous ? »

Témoignage entendu à la Maison des usagers
(1) Animatrice ateliers « Éthique et soins ».
(2) Psychologue, responsable de la Maison des usagers.
(3) Coordinatrice de la Maison des usagers.
Centre hospitalier Sainte-Anne, 1, rue Cabanis, 75014 Paris.

Introduction



Les personnes souffrant de troubles psychiques font l'objet d'une forte stigmatisation. Les usagers du système de psychiatrie ne sont pas des usagers ordinaires. Aux yeux de l'ensemble du corps social, ils portent les stigmates de la figure du « fou » et se situent hors des repères et normes du modèle social offert par leur environnement [1].

La puissance du stigmate les rejette aux marges de la communauté des êtres humains ordinaires, voire les en exclut [2]. Cette situation d'extraordinarité fait vaciller le socle de toute conduite éthique, à savoir la capacité à reconnaître dans l'autre, au-delà de ses singularités et ses spécificités, un alter ego.

Ce défaut de reconnaissance n'est pas l'apanage d'une société civile ignorante des troubles mentaux, il concerne aussi les professionnels de santé. C'est ce que montrent les débats issus des groupes de réflexion éthique de soignants travaillant en psychiatrie [3], dont l'objectif est de réfléchir autour des modalités d'exercice du respect du patient dans les pratiques soignantes. Une difficulté inhérente à la condition éthique du « prendre soin » est régulièrement interrogée : « Comment concilier l'intention éthique de protection d'une personne fragilisée par la maladie et le respect de l'usager dans l'exercice de ses droits et de ses libertés ? ».

Selon nous, la difficulté à concilier l'intention morale de bienveillance envers le patient et le respect de ses droits atteste du défaut de reconnaissance de l'usager en santé mentale comme alter ego. La reconnaissance et le respect de ses droits donnent à l'individu son statut et sa dignité de membre de la communauté. Le manquement au respect des droits constitue donc un acte d'exclusion, attestant implicitement d'un défaut de reconnaissance de l'autre comme alter ego et membre de la communauté à part entière [4].

De plus, comme la valeur que nous nous accordons dépend étroitement de celle que nous accorde autrui, comme il y a un lien puissant entre estime de soi et reconnaissance d'autrui, l'un des effets délétères du non-respect des droits de l'usager est l'atteinte à l'estime de soi. « L'expérience consistant à être reconnu comme une personne juridique par les membres de la communauté signifie pour le sujet individuel la faculté de prendre envers lui-même une attitude positive » [4]. L'expérience de ce défaut de reconnaissance a pour effet immédiat d'engager et de perpétuer un processus d'autostigmatisation.

En outre, à l'aune des pratiques psychiatriques telles que les soins sans consentement, l'usage de chambres d'isolement et de contentions, la privation de liberté dont le recours est souvent fondé sur une attitude bienveillante, nous mesurons combien il est difficile de considérer l'usager des services de psychiatrie comme un alter ego.

Les recommandations relatives à la bientraitance dans les services de santé présentent cette dernière comme l'alliance, dans la pratique, de l'attitude de bienveillance et de la promotion des droits de l'usager [5]. L'enjeu de la mise en oeuvre d'une politique de bientraitance en psychiatrie repose donc, pour les soignants, sur la levée de cette difficulté à concilier respect des droits des usagers et intention de bienveillance, inhérente à l'activité soignante.

Pour offrir une piste de résolution à ce conflit, nous nous servirons de l'indignation de la participante d'un groupe de réflexion "Éthique et soins" (4) pour qui la bientraitance ne peut s'opérer que par la déstigmatisation des patients, c'est-à-dire par une révolution dans les représentations qu'ont les professionnels de l'usager des services de psychiatrie. À cette fin, il conviendrait de reconnaître le savoir expérientiel des usagers et le transmettre tout au long de la formation professionnelle, au même titre que le savoir médical ou expert [6].

Par ce changement de paradigme, la représentation des troubles mentaux ne serait plus le monopole du discours psychiatrique expert, mais ferait l'objet d'un partage avec le discours de ceux qui vivent avec des troubles psychiques. Dès lors, quels sont les enjeux éthiques de la mise en oeuvre d'une politique de bientraitance, si l'on considère que celle-ci ne peut s'opérer qu'à la condition d'un changement de paradigme dans les représentations que les professionnels ont des usagers ?


Difficile mise en oeuvre d'une démarche de bientraitance en psychiatrie : quand le respect des droits de l'usager entre en conflit avec le bien du patient


Selon les débats des groupes de réflexion éthique, la situation professionnelle du «prendre soin» comporte comme substrat éthique l'intention de protection d'un être humain fragilisé par la maladie. Cette visée éthique entraîne souvent le soignant, dans son intention et son attention bienveillantes envers le patient, à penser ce qui est bon pour l'usager en lieu et place de l'usager lui-même, à évaluer la légitimité et le caractère bienfaisant de ses désirs à l'aune d'un jugement soignant empreint d'impératifs exigeants en termes de protection et de sécurité de la personne.

L'un des principaux pièges du « prendre soin » est d'amener le soignant à confondre sa perspective avec un point de vue objectif et de définir l'autre en ses propres termes. Certains participants déplorent qu'en cas de non-concordance entre projet soignant et projet patient, l'expression du soignant puisse prévaloir sur celle du patient. Ils évoquent des situations de contrainte, d'omission, voire de mensonge. S'ils condamnent ces atteintes au respect de l'usager, la majorité fait valoir la position éthique qui les oblige, parfois, à recourir à de telles pratiques.

En effet, comment un soignant pourrait-il consentir à exposer un patient à une situation qu'il considère comme pouvant mettre à mal son équilibre psychique ?

Les participants s'interrogent en ces termes : la position soignante, du fait même de son exigence éthique de bienfaisance, engendrerait-elle, nécessairement, une situation asymétrique et d'ascendance dans la relation de soin ? L'abus de pouvoir serait-il un risque permanent, voire une dimension inhérente à la pratique du soin? Comment permettre de manière effective à la dimension protectrice du soin de s'exercer, sans pour autant compromettre l'expression de la subjectivité du patient et sa situation de sujet-acteur de sa propre vie ?

Cette tension éthique, commune à l'ensemble des professionnels de santé, est potentialisée dans le cadre des soins psychiatriques sans consentement et du recours à des pratiques de privation de liberté (contention, isolement) qui positionnent de facto le soignant dans une relation univoque de domination vis-à-vis du patient et le nient comme sujet de droit.

Selon la majorité des participants au groupe de réflexion éthique, établir de la symétrie dans la relation soignant/soigné reste un enjeu éthique majeur pour garantir le respect effectif du patient dans la pratique du soin. Les débats attestent cependant que, pour la plupart, la protection es individus fragilisés par la maladie mentale, même si elle implique le recours à des pratiques portant clairement atteinte au respect des droits des patients, doit prévaloir sur le respect inconditionnel du droit. Un seul participant, une infirmière, s'élèvera avec ferveur et colère contre ces pratiques, s'insurgera contre ces conceptions et refusera d'accorder toute caution éthique à l'argument du «pour le bien du patient».


Comment faire vivre le processus de bientraitance ?


Changer de paradigme : abolir le monopole du discours psychiatrique et faire entendre la voix des usagers
Pourquoi une telle indignation ? Comment expliquer une telle différence de vue et une telle opposition par rapport à ses collègues ? Lors des débats, cette infirmière suivait un enseignement universitaire qui a bouleversé sa représentation de l'usager et sa pratique du soin. Dans cette formation, un usager et un praticien dispensaient de manière conjointe un cours; un usager et un soignant assis côte à côte recevaient le même enseignement. Ces modalités pédagogiques reconnaissent au soignant et à l'usager une même compétence pour délivrer et recevoir un enseignement. Elles lèvent les frontières, bouleversent les jeux de rôles et leurs prérogatives, et entérinent la situation d'asymétrie de hiérarchie et de pouvoir dans la relation soignant/soigné.

L'expérience de cette reconnaissance a constitué pour cette soignante une révolution, un véritable changement de paradigme. Elle racontera qu'il lui fallut une bonne semaine pour sortir d'une certaine stupeur et accepter cette situation comme légitime. Les participants du groupe éthique s'interrogent sur les causes de cette stupeur et questionnent l'arrière-plan idéologique de leurs réflexions, leur discours et leurs représentations des maladies mentales et des patients.


Il existerait deux situations d'être : raisonnable et fou
Cette stupeur de voir un usager et un praticien sur un plan d'égalité attesterait donc d'une transgression et, selon le principe du négatif en photographie, rendrait compte de la situation d'exclusion où vit l'usager en santé mentale.

Foucault fait part de cette division des êtres et de l'exclusion de ceux dits fous aux marges du genre humain, de la parole et du discours. « Depuis le fond du Moyen Âge, le fou est celui dont le discours ne peut pas circuler comme celui des autres : il arrive que sa parole soit tenue pour nulle et non avenue, n'ayant ni vérité ni importance, ne pouvant faire foi en justice [...]. On me dira que tout ceci est fini aujourd'hui [...] il suffit de songer à tout le réseau d'institutions qui permet à quelqu'un - médecin, psychanalyste - d'écouter cette parole et qui permet en même temps au patient de venir apporter, ou désespérément retenir ses pauvres mots ; il suffit de songer à tout cela pour soupçonner que le partage, loin d'être effacé, joue autrement, selon des lignes différentes, à travers des institutions nouvelles et avec des effets qui ne sont point les mêmes. » [7]

Cette division des rôles hypothèque la relation de soin, en la prédisposant à l'asymétrie et au rapport de pouvoir. Cette vision dichotomique génère inégalité et hiérarchie entre les êtres. L'enseignement évoqué plus haut, en mettant sur un pied d'égalité le discours médical soignant-expert et le discours usager-profane rompt avec l'organisation raison/folie, dissout la ligne de partage en faisant monter sur l'estrade du professeur le discours du « fou ». La pédagogie du partenariat patient/soignant agit comme une révolution dans ce que Foucault nomme « L'ordre du Discours », soit le rapport de force et de pouvoir véhiculé par la représentation des êtres et des choses qu'il entérine.

Selon lui, il n'y a pas de réalité antérieure au discours et à ses prescriptions. Le discours ne décrit pas une réalité ontologique; il nous fait croire qu'il y a de l'ontologie avant le discours. Or, il faut « ne pas s'imaginer que le monde tourne vers nous un visage lisible que nous n'aurions plus qu'à déchiffrer; il n'est pas complice de notre connaissance ; il n'y a pas de providence prédiscursive qui le dispose en notre faveur. Il faut concevoir le discours comme une violence que nous faisons aux choses, en tout cas comme une pratique que nous leur imposons. » [7] Le discours fait force de loi. Il n'interdit pas de dire ou de penser autrement ou en dehors de l'ordre qu'il prescrit; il produit des catégories d'être qui nous empêchent de penser en dehors des termes du discours dominant.

Dès lors, il est difficile de penser la maladie en dehors du discours hégémonique sur la maladie. Il est très difficile de penser les troubles mentaux en dehors des termes du discours de la psychiatrie. Et ce discours trouve des relais institutionnels puissants au niveau de la formation des professionnels de santé. Car « tout système d'éducation est une manière politique de maintenir ou de modifier l'appropriation des discours, avec les savoirs et les pouvoirs qu'ils emportent avec eux » [7].

En faisant monter en chaire le récit de l'expérience privée au même titre que l'exposé médical, cet enseignement constitue une révolution, car il lève les frontières entre les espaces habituellement opposés du privé et public, du récit personnel (ou profane) et du discours scientifique, et bouleverse la relation soigné/soignant. L'idée que l'expérience privée subjective puisse être vecteur de savoir et de connaissance interrompt une délimitation où seul le discours public, scientifique et médical serait légitime. Un tel enseignement invite donc à s'affranchir des dichotomies centrales de la connaissance et de l'épistémologie traditionnelle, où un savoir et sa dispensation exigent de la neutralité et la disparition de l'expérience de vie pour avoir de la valeur.


Reconnaître la compétence des usagers : retrouver le contact avec l'expérience et trouver une voix propre à son expression


Pour mieux comprendre en quoi cette prise de parole des patients est un geste éthique puissant, contribuant à renforcer chez eux un sentiment de confiance en soi et en la valeur de leur expérience, il est intéressant d'emprunter à la réflexion féministe.

La division par genre fondée sur une distinction anatomique et la division patient en psychiatrie/soignant, construite sur l'assignation des critères d'autonomie/raison et dépendance/folie, érigent des frontières et précipitent les uns vers la sphère publique (la rationalité, l'autonomie et l'invulnérabilité) et les autres vers la sphère privée (la sentimentalité et l'émotion, la dépendance et la fragilité).

En reléguant l'expérience de maladie dans la sphère privée, on y confine en même temps le savoir et le discours de la personne malade et, par conséquent, on exclut de la sphère publique les personnes souffrant de troubles psychiques et surtout leur compétence sur la maladie et le soin. D'un certain point de
vue, la question du pouvoir d'expression de l'expérience est une problématique commune aux femmes et aux usagers en psychiatrie.

En effet, « L'histoire du féminisme commence précisément par une expérience d'inexpression, dont les théories du care rendent compte concrètement, en mettant en valeur une dimension non exprimée de l'expérience. Il s'agit d'une situation qui n'est pas propre à la femme, qui [...] motive le désir de sortir de cette situation de perte de la voix, de reprendre possession de son langage et de trouver un monde qui en soit le contexte adéquat. » [8]

En ce sens, l'enseignement évoqué participe à une lutte éthique qui s'attache à donner de la valeur épistémologique, publique et universelle à la voix des patients. Ici, le patient n'est pas un cas clinique venant illustrer une théorie, des hypothèses, il est celui qui parle en son nom. Il n'est plus un patient piégé dans les inégalités d'une relation thérapeutique, profane face à l'expert, soigné face au soignant, ignorant face au sachant. Il est restitué en tant que personne dans sa dimension de sujet de droit, qui peut se réapproprier son propre parcours de vie en reprenant possession de son discours. Et, comme en miroir, le soignant se trouve alors dégagé de cette relation thérapeutique hiérarchique, projeté dans un nouvel espace de compréhension de la maladie, obligé d'entendre autrement une personne qui ne se résume plus à sa pathologie ou à son aliénation passagère.

Dégagé des entrelacs du care et du cure, il est poussé à s'extraire du pattern de la relation thérapeutique pour entrer dans la relation humaine qui ouvre à la reconnaissance de l'alter ego.

Or « retrouver le contact avec l'expérience et trouver une voix pour son expression, c'est la visée première, perfectionniste et politique, de l'éthique» [8]. Cependant, l'habileté à rendre accessible à autrui l'expérience privée, la possibilité de la faire accéder au discours est une aptitude qui développe, si l'on accorde de l'importance et de la valeur à l'expression de votre expérience.

Cette valorisation du savoir expérientiel est conceptualisée par la notion d'empowerment, qui désigne la capacité des patients à « conduire leur propre vie, de façon autonome et de vivre au mieux avec la maladie» [9]. Au niveau individuel, le patient devient acteur de son soin, de son mieux être, mais également expert de ses troubles. Ce savoir se construit au long de son parcours de patient et se structure dans le partage d'expérience entre pairs, dans les associations d'usagers ou les groupes d'entraide mutuelle. Cette reconnaissance par les pairs replace le patient dans un groupe social incluant et le conforte dans ses capacités à se positionner en tant qu'individu acteur de son parcours de rétablissement, partenaire des soignants, et juge des soins les plus appropriés pour lui. L'usager se reconnaît alors le droit de penser son soin et ses troubles en fonction de ses attentes, son environnement, et se reconnaît le droit de se positionner face aux professionnels soignants. Ainsi, en rendant le patient capable d'autonomie par rapport au dispositif mis en place autour de ses troubles, le principe d'empowerment lui permet aussi de se maintenir, avec son plein consentement, dans ce même dispositif.

Au niveau collectif, c'est la prise de parole des usagers pour défendre leurs droits qui a généré les évolutions récentes des politiques de santé (2002,2005) et le développement de pratiques favorisant l'empowerment individuel (ex. : programme d'éducation thérapeutique, psychoéducation). Le combat des associations d'usagers et de proches pour la reconnaissance des droits des usagers des services de psychiatrie a permis l'identification sociale de ces personnes jusqu'alors non reconnues comme sujets de droit. Toutefois, de nombreux obstacles à la prise en compte de cette parole et à l'exercice de ces droits persistent [10,11].


Accorder une compétence à un « usager rétabli » Le statut de pair aidant : difficile acceptation de la remise en question de l'ordre symbolique, des identités et des rôles


Si les participants du groupe éthique reconnaissent la valeur et la compétence du savoir expérientiel de l'usager, ils montrent en revanche de la réticence, voire du refus quand il s'agit d'accorder une compétence professionnelle à la personne de l'usager dans le cadre de la fonction de pair aidant, figure et statut auquel nous initie la participante suivant la formation.

L'expertise et la compétence du pair aidant sont fondées non seulement sur sa connaissance, acquise dans l'expérience de sa maladie et de son parcours de rétablissement, mais aussi sur sa faculté à en faire le récit : « Identifier les signes précurseurs de la maladie, ce que vous avez ressenti quand vous étiez au plus
mal ; nommer ce qui vous a aidé à aller de l'avant ; ce que vous avez surmonté ; ce que vous avez appris sur vous-même ; ce que vous avez acquis ; identifier vos forces et vos faiblesses. » [9]

Plusieurs expériences à travers le monde(5) depuis une trentaine d'années ont démontré combien le fait d'avoir traversé et transcendé une maladie mentale apporte aux personnes une expertise expérientielle qu'aucune formation ne peut donner. « Il s'agit d'une sensibilité et d'une vision de l'autre qui souffre non pas à partir d'une compréhension intellectuelle, mais d'un vécu. » [9]

La possibilité d'intégrer au sein d'une équipe soignante un pair aidant, usager rétabli, est rejetée par la grande majorité des participants des ateliers « Éthique et soin ». Ils estiment que ce n'est pas nécessaire ni intéressant, dans la mesure où existent des associations de patients et des groupes d'entraide mutuelle.

Les participants sont très réticents à l'idée d'intégrer un usager comme membre de l'équipe à part entière. Selon eux, l'absence de formation médicale ou soignante ne lui permettrait pas de posséder les compétences pour développer avec les patients une relation thérapeutique. De manière immédiate, les séparations et les divisions s'érigent.

Cette proposition d'accueillir au sein d'une équipe de professionnels un usager rétabli impliquerait une recomposition des rôles, des fonctions, mais surtout une redéfinition des ensembles et des groupes d'appartenance qui définissent dans et par le discours, notre valeur et notre identité.

Autrement dit, on ne saurait être à la fois usager et soignant, malade et aidant, dépendant et autonome. En interrogeant la partition en termes de malade/sain, dépendant/autonome, soigné/soignant, en rompant les lignes de démarcation, en pratiquant des ouvertures dans les parois étanches des compartiments des groupes d'appartenance, ne prend-on pas le risque d'une contamination, d'un dysfonctionnement ?


Conclusion


Tout l'enjeu de la mise en oeuvre d'une politique de bientraitance en psychiatrie repose sur la possibilité pour les soignants de respecter les droits des usagers, sans renoncer à l'intention de bienveillance, substrat éthique qui anime toute pratique soignante. Mais respecter les droits et les faire vivre nécessite que l'usager soit reconnu comme sujet de droit et alter ego du soignant. Cette reconnaissance requiert un changement de paradigme où l'usager des services de psychiatrie ne fait plus l'objet de procédures d'exclusion et de censure, mais est placé au centre du discours sur la santé mentale, au niveau de la formation initiale et continue des professionnels de santé, des institutions de soins et des démarches d'amélioration de la qualité des pratiques psychiatriques.

C'est en facilitant la prise de la parole des usagers en tant que sujets de droit, en écoutant leurs discours sur la maladie et les soins, en les respectant comme légitimes, que les professionnels de santé permettront l'émergence des conditions de la bientraitance dans les services de psychiatrie.


(4) Le travail en équipe au sein d'un service psychiatrique expose les professionnels à un questionnement éthique quotidien. Au centre hospitalier Sainte-Anne, des ateliers de réflexion éthique ont été mis en place en 2007, dans le cadre de la formation continue.
(5) Dont une en France : http://www.fp.univ-paris/Mediateur-de-sante-Pair-DU.

Références


[1] Caria A, Roelandt JL, Defromont L, Daumerie N , Vandeborre A. Représentations sociales du « fou », du « malade mental » et du « dépressif » en population générale en France. Encéphale 2010; 36(3S1) : 7-13.
[2] Goffman E. Stigmate, les usages sociaux des handicaps. Paris : Les éditions de Minuit ;1975.
[3] Dehot C, Caria A, Boiteux C. Impact des nouveaux droits des malades sur les pratiques soignantes en psychiatrie. Quelques exemples autour du droit à l'information. Pratiques en santé mentale 2011 ; 57(2) : 15-21.
[4] Honneth A. La lutte pour la reconnaissance. Paris : Éditions du Cerf; 2008.
[5] FORAP-HAS. Le déploiement de la bientraitance. Guide à destination des professionnels en établissements de santé et EHPAD. Mai 2012.
[6] Jouet E, Flora L, Las Vergnas O. Construction et reconnaissance des savoirs expérientiels des patients. Note de synthèse. Pratiques de Formation. Analyses 2010; 58-9.
[7] Foucault M . L'ordre du discours. Paris : Gallimard; 1971.
[8] Moliner P, Laugier S, Paperman P. Qu'est-ce que le care ? In : Souci des autres, sensibilité, responsabilité. Paris : Petite bibliothèque Payot ; 2009.
[9] Jouet E, Flora L. Empowerment et santé mentale : le contexte et la situation en France. La Santé de l'Homme 2011 ; 413 : 12-5.
[10] Caria A. La place des usagers en psychiatrie : récentes évolutions. In : Guelfi JD, Rouillon F, editors. Manuel de Psychiatrie. 2" édition. Paris : Elsevier-Masson ; 2012. p. 752-9.
[11] Le Cardinal P. Résilience et engagement associatif des usagers en santé mentale. In : Mémoire de 3e année du diplôme de psychiatrie clinique et thérapeutique. Université Lille 2. Faculté de médecine Henri Warenbourg; 2006.
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