Avant-proposIl était temps que de sérieuses études commencent à être diffusées en France sur des thérapies plus efficaces et moins dangereuses que les psychotropes. Et sans tenter de vendre d'autres produits peu utiles à la place. Les officines naturopathes, et les gourous de l'anti-médecine, tout aussi dangereux, n'ont, et il était temps, plus le monopole du discours alternatif aux psychotropes. Des voix sérieuses avancent aujourd'hui que la méditation en pleine conscience serait "aussi efficace" que les antidépresseurs. Elles sont encore timides : leurs chiffres montre une légère supériorité ; quant au rapport bénéfice-risques, pour nous il est clair. Sommaire
Article paru dans Le Vidal, 12 juin 2015 | Pr Christophe André, psychiatre, Hôpital Sainte-Anne, interviewé par Sciences et Avenir en 2013. Longtemps considéré par ses pairs, dans le meilleur des cas, comme un psychiatre marginal, le chantre de la méditation en pleine conscience est enfin pris au sérieux |
IntroductionLa survenue d'un ou plusieurs épisodes dépressifs augmente les risques de survenue d’un nouvel épisode. Pour prévenir des rechutes chez les patients à haut risque (au moins 3 épisodes dépressifs majeurs), il est recommandé de prescrire des antidépresseurs pendant au moins 2 ans. Mais la compliance est souvent médiocre et l’attrait des thérapies alternatives important. Or la littérature est très restreinte sur l’éventuel intérêt de ces thérapies. Le Dr Willem Kuyken et son équipe, de l’université d’Oxford, ont décidé de combler ce manque de données en comparant l’impact de la méditation en pleine conscience à celui d’antidépresseurs sur le délai de rechute ou de récidive d’une dépression. Cette étude randomisée baptisée PREVENT a été effectuée, en simple aveugle, auprès de 424 patients. Les résultats, publiés fin avril 2015 dans The Lancet (1), montrent un rapport bénéfices-risques comparables entre les deux méthodes : "les deux traitements ont été associés à des résultats positifs durables en termes de rechute ou de récidive, de symptômes dépressifs résiduels, et de qualité de la vie", résument les auteurs, qui estiment donc qu’il faut considérer cette possibilité comme une alternative à envisager, si besoin, aux antidépresseurs en prévention des récidives. | Voir aussi
(1) Effectiveness and cost-effectiveness of mindfulness-based cognitive therapy compared with maintenance antidepressant treatment in the prevention of depressive relapse or recurrence (PREVENT): a randomised controlled trial | |
La méditation en pleine conscience et les thérapies cognitives qui l'utilisent représentent une sorte d'adaptation laïque des principes fondamentaux du bouddhisme (illustration). (4) Les auteurs omettent de dire qu'il est également très élevé avec antidépresseurs (60 % selon le graphique cité par le même article) (5) Bien sûr, comme d'habitude, le problème vient du patient qui n'est pas "compliant"... | En cas d'épisodes dépressifs majeurs répétés, le risque de rechute est élevé en l'absence de traitement de fond antidépresseur (de 50 à 80 % selon Richards D, 2011) (4). D'où les préconisations du National Institute for Health and Clinical Excellence (NICE) d'instaurer un traitement antidépresseur de fond pendant 2 ans, préconisations qui rejoignent les recommandations en vigueur en France : "en cas de trouble dépressif récurrent (au moins 3 épisodes dépressifs majeurs au cours de la vie), la prolongation de la prescription du traitement antidépresseur doit être proposée pour une durée de 2 ans" (source : VIDAL Reco Dépression, élaborée par notre comité d'experts d'après les recommandations des autorités sanitaires françaises). Mais ces préconisations peuvent être difficiles à suivre par des patients qui ne sont pas toujours compliants (5), ne tolèrent pas forcément bien ces médicaments… ou cherchent d'autres options du côté des médecines dites "alternatives". Revenir au sommaire Qu'est-ce que la "méditation en pleine conscience" ?La méditation en pleine conscience est issue de la philosophie bouddhiste. Le bouddha (Siddhartha Gautama, également appelé "l'Eveillé") considérait en effet la conscience vigilante de ses propres pensées, actions et motivations comme un chemin vers l'Eveil spirituel. Concrètement, cette méthode de méditation est destinée à permettre aux gens d'apprendre à devenir davantage conscients de leurs sensations corporelles, positives et négatives, et à "tourner intentionnellement leur esprit vers le moment présent", comme le résume le psychiatre Christophe André (St Anne, Paris), qui pratique et enseigne la méditation en pleine conscience depuis 12 ans. | |
La méditation en pleine conscience utilisée par les psychothérapeutes et les psychiatresL'approche la méditation en pleine conscience a été appliquée notamment à la gestion du stress et de la dépression. Cette thérapie, appelée "thérapie cognitive basée sur la pleine conscience" (TCPC, ou MBCT, pour "mindfulness-based cognitive therapy", en anglais), a donc pour objectif d'inciter les patients à mieux percevoir les sensations, pensées et les sentiments négatifs associés à la rechute ou récidive dépressive et d'utiliser de manière constructive ces expériences pour "rentrer dans l'instant présent", en "pleine conscience" et en se dégageant de ces idées noires, au lieu de les ressasser, de s'y enfoncer, de se perdre... Plusieurs exercices, en groupe ou au quotidien, permettent de parvenir à optimiser les capacités d'attention dans la vie de tous les jours et au travail sans ruminer les pensées dépressives, explique le Dr Christophe André dans l'interview ci-dessus, effectuée par Sciences et Avenir en 2013. Revenir au sommaire 2008-2011 - Premières études encourageantes sur la diminution du risque de rechutes dépressivesPlusieurs études ont déjà démontré un intérêt de la TCPC dans cette indication. Une méta-analyse de Piet et Hoogard (2011) suggère ainsi un effet bénéfique significatif de la TCPC par rapport aux soins standards ou au placebo. En analysant 6 études randomisées effectuées auprès de 593 patients diagnostiqués avec une dépression majeure récidivante mais en rémission au moment des études, les auteurs ont constaté une réduction moyenne du risque de rechute de 34 % dans les groupes de patients suivant une TCPC par rapport au risque de rechute constaté dans les groupes "contrôles" (RR 0,66, IC 95% 0,53–0,82). William Kuyken et coll. ont réalisé, en 2008, une étude pilote auprès de 123 patients avec un suivi de 15 mois. Les résultats montrent que dans le groupe TCPC associée à des mesures de réduction ou suppression des antidépresseurs, les récurrences dépressives se chiffraient à 47 %, contre 60 % dans le groupe antidépresseurs seuls (OR 0,63 ; IC95% 0,39-1,04). Par ailleurs, un meilleur contrôle des symptômes résiduels et de la comorbidité psychiatrique a été constaté dans le groupe TCPC, avec une meilleure qualité de vie et à coût annuel égal. Enfin, dans le groupe TCPC, 75 % des patients ont pu interrompre complètement leur traitement antidépresseur. | Une lecture recommandée. Paru également sous le titre "Méditer jour après jour" | |
2015 : Les preuves scientifiquesLa nouvelle étude de Willem Kuyken et coll. prolonge la démarche entreprise dans cette étude pilote, avec davantage de patients et une randomisation en simple aveugle. Les auteurs de l'étude multicentrique PREVENT, contrôlée et en simple aveugle, ont recruté 424 patients dans 4 centres de médecine générale, ruraux et péri-ruraux. Ils avaient déjà présenté au moins 3 épisodes dépressifs majeurs (EDM) selon le DSM-IV et étaient tous initialement sous traitement antidépresseur de fond aux doses recommandées. Ils ne présentaient pas, au moment de l'étude, un EDM (ni d'addiction majeure et autres comorbidités psychiatriques). Pour le groupe testé en TCPC, Kuiken et coll. ont choisi un protocole en groupes qui comportait 8 séances hebdomadaires de TCPC suivies de séances de rappel tous les trimestres pendant un an. Ce groupe a également bénéficié, après 6 semaines de TCPC, d'une assistance à la diminution/suppression des antidépresseurs avec un psychologue et un médecin généraliste. Dans le groupe "contrôle", le traitement de fond antidépresseur a été poursuivi et suivi de manière rapprochée pour assurer un bon niveau de compliance. Les auteurs ne constatent aucune différence significative à 2 ans en matière de délai de rechute, le critère primaire de l'étude : 94 (44 %) des 212 patients du groupe TCPC ont rechuté contre 100 (47 %) des 212 patients du groupe antidépresseurs à dose recommandée (HR à 0,89 ; IC 95 0,67–1,18 ; p=0,43) Revenir au sommaire | Pas de différence non plus en analyse secondaire de la compliance au protocole donné, avec une rechute chez 81 (46 %) des 176 patients compliants du groupe TCPC contre 80 (49 %) des 162 patients compliants du groupe antidépresseurs (HR 0,79, IC95 0,58–1,08, p=0,14). | |
(6) Partie soulignée dans l'article original. (7) Le Vidal aurait tout aussi bien pu décrire l'analyse comparative en termes de "bénéfices/risque" des deux approches, et conclure très clairement, comme nous le faisons, en faveur de la TCPC. A résultat égal, cette dernière ne présente en effet pas de risques d'effets indésirables, ce qui fait toute la différence. Mais cette évidence est incompatible avec les croyances du monde médical en France. Un diplôme universitaireAvis aux jeunes étudiants : l'Université Pierre et Marie Curie lance en 2015 le DU " « Relation de soin et gestion du stress » à destination des professionnels de santé de toutes disciplines ayant en charge des patients atteints d’une maladie chronique. Lire la présentation de Corinne Isnard Bagnis, néphrologue, auteur de cette excellente initiative, et pratiquant pour elle et avec ses patients la méditation en pleine conscience. | La TCPC plus efficace en cas d'antécédents de maltraitance infantileLes auteurs ont constaté un moindre risque de rechute chez les personnes du groupe TCPC rapportant une sévère maltraitance infantile (47 % vs 59 %, HR 0,53 ; IC95 0,29–0,95; p=0.03). A l'inverse, elle a augmenté légèrement ce taux chez les patients rapportant un faible niveau de violences dans l'enfance : 44 rechutes (42 %) chez 105 patients contre 35 (35 %) sur 101 patients sous antidépresseurs seuls. Une maltraitance infantile sévère est également associée dans l'étude à un parcours psychiatrique, des traitements et des antécédents familiaux plus lourds, à davantage d'hospitalisations et de tentatives de suicide. (6) Analyser les mécanismes de résilience et adopter une stratégie thérapeutique par pallier : Les auteurs ne notent pas de différence en analyse coût/efficacité entre les deux types de prise en charge. Ils prônent donc une poursuite de l'analyse des mécanismes à l'œuvre dans les thérapies cognitives et suggèrent de les associer aux prises en charge des patients les plus lourds, en privilégiant une stratégie par paliers. Ces thérapies cognitives non médicamenteuses effectuées en groupe, peu coûteuses, pourraient aussi représenter une alternative intéressante pour les patients qui ne peuvent tolérer un traitement antidépresseur d'entretien, ou ne le souhaitent tout simplement pas… (7) Autres études citées dans cet article : Prevalence and clinical course of depression: a review. Richards D. Clin Psychol Rev 2011; 31: 1117–25. The effect of mindfulness-based cognitive therapy for prevention of relapse in recurrent major depressive disorder: a systematic review and meta-analysis. Piet J, Hougaard E. Clin Psychol Rev 2011; 31: 1032–40. Mindfulness-based cognitive therapy to prevent relapse in recurrent depression. Kuyken W, Byford S, Taylor RS, et al. J Consult Clin Psychol 2008; 76: 966–78. Sur la méditation en pleine conscience et la TCPC ("thérapie cognitive basée sur la pleine conscience") : Pleine conscience, fiche Wikipedia La méditation en pleine conscience, Christophe André, Cerveau & Psycho - n° 41, septembre-octobre2010 (fichier PDF provenant de son site personnel) Qu'est-ce que la méditation de pleine conscience ?, interview de Christophe André, Sciences et Avenir, juin 2013 La thérapie cognitive basée sur la pleine conscience, Michel Larouche, Ordre des psychologues du Québec, novembre 2009 Revenir au sommaire | |
Des précautions indispensables contre les charlatansComme toutes les techniques d'origine orientale, la méditation a été utilisée comme hameçon par les sectes, et est aussi souvent un produit d'attirance pour des charlatans sans scrupule, qui vendent cher les bienfaits surévalués de stages, séjours, formations, séminaires, produits, livres, fiches, etc. Leur prix est d'autant plus élevé que les miracles annoncés et témoignages "authentiques" sont annoncés comme mirobolants. Les arguments d'allure scientifique, ("pseudo scientifiques"), mais qui aujourd'hui sont souvent remplacés par de véritables argumentaires officiels avec de véritables chiffres et références citant tel ou tel autorité dont on utilise la réputation, sont souvent les plus annonciateurs d'une tromperie au minimum, d'une exploitation à des fins mercantiles dans le meilleur des cas. La présence d'un "médecin", "professeur", ou "docteur" n'est en rien un gage de sérieux. Quelques pistes pour éviter toute mauvaise surprise : - la méditation pleine conscience se pratique le plus souvent seul, sans thérapeute ni groupe. Le plus important est de savoir se laisser guider par le bon sens de ses principes, en lisant un livre non sectaire (comme celui recommandé ici), et en adoptant à son propre rythme, les pratiques et principes décrits. - si vous souhaitez vraiment un soutien thérapeutique, il existe une liste de thérapeutes fiables, avec des centaines de noms en France et en Belgique, sur le site officiel suivant : http://www.association-mindfulness.org/membres-actifs-adm.phpw - ne jamais perdre de vue ce qu'est une dérive sectaire : les prémices d'une véritable secte, et souvent tout aussi nocifs financièrement et en terme de perte progressive du libre-arbitre. Une dérive sectaire est "un dévoiement de la liberté de pensée, d’opinion ou de religion qui porte atteinte à l'ordre public, aux lois ou aux règlements, aux droits fondamentaux, à la sécurité ou à l’intégrité des personnes. Elle se caractérise par la mise en œuvre, par un groupe organisé ou par un individu isolé, quelle que soit sa nature ou son activité, de pressions ou de techniques ayant pour but de créer, de maintenir ou d’exploiter chez une personne un état de sujétion psychologique ou physique, la privant d’une partie de son libre arbitre, avec des conséquences dommageables pour cette personne, son entourage ou pour la société" - il serait vain de tenter de donner ici une liste de mouvements ou pratiques sectaires, tellement ils sont nombreux. Il arrive que des pratiques saines soient détournées, servent donc d'appât, et qu'une fois séduits, les néophytes se voient progressivement incités avec différents moyens de conviction et de pression, à aller plus loin, à "essayer" des techniques autres et d'"élévation" "plus avancées" et "permettant d'entrer pleinement dans la sérénité", "cela ne coute rien d'essayer et de venir voir juste un week-end", "se former à la méditation - la phytothérapie - le zen - le reiki (etc : rayer les mentions inutiles) pour aider d'autres personnes qui souffrent", enfin tout un discours très efficace pour tomber petit à petit dans le piège et la sujétion. Neptune Revenir au sommaire | ||