"7 ans après un premier épisode psychotique, le groupe des personnes ayant arrêté les médicaments a un score de rétablissement fonctionnel deux fois meilleur que celui du groupe ayant poursuivi le traitement"par Tom INSEL, Directeur du NIMH - National Institute of Mental Health - Organisme d'état américain Editorial du 28 aout 2013 "Le blog du directeur" Source : http://www.nimh.nih.gov/about/director/2013/antipsychotics-taking-the-long-view.shtml Traduction : Neptune, août 2015 | Thomas Insel | |
L’une des premières leçons reçues en tant que psychiatre en formation il y a 35 ans, était sur la valeur des médications antipsychotiques. Ces médications ont été disponibles pour le traitement des psychoses pendant près d’un demi-siècle, depuis le prototype de la chlorpromazine de la première génération (Thorazine), jusqu’aux 20 molécules différentes aujourd’hui, incluant plusieurs médicaments de seconde génération, souvent appelés « antipsychotiques atypiques ». Les symptômes comme les hallucinations, les délires et la paranoïa sont diminués avec fiabilité par ces médicaments. Bien que ces symptômes puissent être effrayants et dangereux pour les patients, les membres de la famille et les soignants, les antipsychotiques aident les personnes de façon sûre et efficace pendant la crise de psychose aiguë. Toutefois, la gestion sur le long terme d’une maladie mentale chronique est un autre sujet. Récemment, les résultats de plusieurs études ont suggéré que ces médications pourraient être moins efficaces pour le résultat qui importe le plus aux personnes avec une maladie mentale grave : le plein retour au bien-être et à une situation productive dans la société. Ceci ne signifie pas que les personnes ne se remettent pas ou ne se rétablissent pas d’une maladie mentale grave. Un article récemment posté en ligne dans JAMA-Psychiatry (1) nous raconte une histoire intéressante sur les médicaments et le rétablissement. Wunderink et ses collègues des Pays-Bas décrivent une étude de suivi sur 7 ans de 103 personnes avec schizophrénie et troubles liés (2), qui avaient eu un premier épisode psychotique entre 2001 et 2002. Après 6 mois de rémission symptomatique avec le traitement antipsychotique, on leur a assigné au hasard, soit le traitement antipsychotique de maintenance, soit une diminution progressive et arrêt du traitement. Comme l’on s’y attendait, le groupe qui a arrêté les médicaments, a connu deux fois plus de rechutes au début de la phase de suivi. Mais ce taux de rechute fut indifférencié entre ceux qui prenaient le traitement, et ceux qui quelques années plus tard, arrêtèrent à leur tour le traitement. Plus important, au bout de 7 ans, le groupe d’arrêt avait deux fois mieux réussi le score de rétablissement fonctionnel : 40,4 % contre seulement 17,6 % dans le groupe de maintien de la médication. Pour être clair, cette étude avait commencé avec des patients en rémission et seulement 17 des 103 patients (21 % du groupe d’arrêt et 11 % du groupe de maintien) étaient totalement sans médicament pendant les 2 dernières années de suivi. Un même nombre (17%) prenait de très petites doses de médicaments, ce qui signifie qu’au total le 1/3 de la population étudiée ne prenait pas ou très peu de médicaments. Pour moi, il y avait 3 résultats remarquables dans cette étude :
Que nous enseigne ceci sur l’utilisation à long terme des antipsychotiques ? Sont-il potentiellement néfastes ? Sont-ils nécessaires à vie ? Plus tôt cette année, Martin Harrow et Thomas Jobe ont analysé de plusieurs études de suivi de personnes avec schizophrénie pour déterminer si les antipsychotiques, administrés sur le long terme, facilitaient le retour au fonctionnement normal (4). Ils décrivent les tendances suivantes à travers ces études : (a) Dans les premiers 6-10 mois après l’arrêt, 25 à 55% des patients rechutent ; (b) Pour ceux qui ne rechutent pas pendant cette période, les rechutes ensuite sont bien moins fréquentes même après des périodes prolongées sans médication. Il apparaît que ce que nous appelons couramment « schizophrénie » pourrait comprendre des troubles avec des évolutions tout à fait différentes. Pour certaines personnes, rester sous médication à long terme pourrait empêcher le retour à un état normal. Pour d’autres, interrompre le traitement peut être désastreux. Pour tous, nous devons nous rendre compte que réduire les soi-disant « symptômes positifs » (délires et hallucinations) peut être nécessaire, mais n’est pas suffisant pour un retour au fonctionnement normal. Les antipsychotiques de première ni de deuxième génération ne font pas grand-chose contre les symptômes dits négatifs (manque de feeling, manque de motivation), ou bien les problèmes d’attention et de jugement qui pourraient être des obstacles majeurs au fait de mener une vie productive en pleine santé. L’éducation de la famille, l’emploi aidé, et la thérapie comportementale et cognitive, ont tous démontré leur efficacité en réduisant le risque de rechutes, en améliorant le fonctionnement dans la vie quotidienne, la faculté de résoudre les problèmes et les compétences relationnelles. NIMH soutient la recherche sur les interventions centrées sur la combinaison d’approches : rémission symptomatique, engagement familial, rétablissement fonctionnel. Le projet RAISE (Recovery After Initial Schizophrenia Episode) associe une médication à petites doses avec la psycho-éducation de la famille, l’éducation/emploi aidé, la formation individuelle à la résilience, et autres interventions non uniquement centrées sur les symptômes psychotiques. La combinaison des traitements courants, comme on le fait dans RAISE, semble une approche prometteuse. Nous réalisons que pour trop de gens, les traitements d’aujourd’hui ne sont pas assez bons. De nouveaux et de meilleurs traitements sont essentiels si nous voulons améliorer les résultats pour tous – c’est la promesse de la recherche. Mais en attendant, nous devons réfléchir aux traitements que nous avons. Clairement, certaines personnes doivent être sous médication continue pour éviter la rechute. En même temps, nous devons nous demander si, à long terme, certaines personnes avec une histoire de psychose ne pourraient pas aller mieux sans médication. C’est une décision difficile, où les risques doivent mis en face des bénéfices potentiels. Comme le souligne le projet RAISE, la prise de décision partagée entre patients, familles et soignants est essentielle pour la gestion à long terme des troubles psychotiques. Ces nouvelles données sur les résultats pour les personnes avec « schizophrénie », nous rappellent que 100 ans après la définition de ce trouble, et 50 ans après les médicaments « révolutionnaires », nous avons encore beaucoup à apprendre | (1) JAMA-Psychiatry, Journal of American Medical Association – Psychiatry, dont les articles sont validées par des pairs. (2) Wunderink L, Nieboer RM, Wiersma D, Sytema S, Nienhuis FJ. Texte intégral : Recovery in Remitted First-Episode Psychosis at 7 Years of Follow-up of an Early Dose Reduction/Discontinuation or Maintenance Treatment Strategy: Long-term Follow-up of a 2-Year Randomized Clinical Trial. JAMA Psychiatry. 2013 Jul 3. PMID: 23824214 (3) McGorry P, Alvarez-Jimenez M, Killackey E. Antipsychotic Medication During the Critical Period Following Remission From First-Episode Psychosis: Less Is More. JAMA Psychiatry. 2013 Jul 3. PMID: 23824206 (4) Harrow M, Jobe TH. Does Long-Term Treatment of Schizophrenia With Antipsychotic Medications Facilitate Recovery? Schizophr Bull. 2013 Mar 19. PMID: 23512950 (4) Dans le manuel de référence en France sur les antipsychotiques (décembre 2013), pas un mot sur cette étude, ni de manière générale sur les effets à long terme des antipsychotiques. En France, l'autorité médicale en santé mentale est bien trop sous l'influence des laboratoires. Plus d'information. | |
Tom Insel, Directeur du NIMH : "Sans antipsychotiques, les résultats sont deux fois meilleurs à long terme"
Par Neptune
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