Harcèlement à l'école : se défendre avec des motsEntretien avec Emmanuelle Piquet | Emmanuelle Piquet, psychologue | |
Le Cercle Psy, une revue que nous apprécions et recommandons | Selon vous les tentatives de solution mises en œuvre par l'Éducation nationale contre le harcèlement ne font qu'ajouter au problème. Quelles sont-elles actuellement ?La solution préconisée, c'est: « Dis-le à un adulte.» Or, qu'un adulte intervienne pour régler le problème à sa place revient à conforter le harcelé dans sa position de victime, incapable, pas compétente, faible. Le message envoyé aux harceleurs est que leur cible est parfaitement bien sélectionnée. Dans la cour, on doit puiser dans ses propres ressources pour s'en sortir : celui qui brise ce code perd considérablement de sa popularité en une seconde. Vous avancez des descriptions très dures de ce que vous appelez par antiphrase le monde enchanté de l'enfance et de l'adolescence. Vous parlez même de «système mafieux»...Nous serions tous épouvantés si nous pouvions voir ce qui se passe dans la cour de récré, dès le CP ! Par exemple, voyez le jeu de la contamination, d'une violence extrême: les enfants décident que l'un d'entre eux est contaminé, donc plus personne ne s'approche de lui. C'est une belle métaphore du fait que lorsque quelqu'un cesse d'être populaire, il peut contaminer les autres. Au collège, plus tard, très peu d'enfants vont s'interposer en cas de harcèlement: ils ont trop peur que ça les contamine, en quelque sorte, d'être mis dans le même sac que la victime. Défendre un harcelé est extrêmement risqué. Les seuls à oser sont ceux qu'on appelle, dans notre jargon pédagogique, les «enfants Lady Di », avec leur grâce infinie qui leur permet de voltiger d'un groupe à l'autre en toute tranquillité. S'ils s'approchent des« lépreux», ça n'entache pas leur popularité, mais ils représentent peut-être 2 % des élèves. Les harceleurs populaires sont des « Nellie Oison », du nom de la chipie dans La Petite maison dans la prairie: tout le monde redoute d'être leur cible. Or, les adultes interviennent en faisant la morale et en oubliant la popularité. j'ai pourtant le sentiment qu'entre le CM1 et la Seconde environ, la popularité est beaucoup plus importante que la morale ! | |
Pour vous, il est inutile de s'attaquer aux harceleurs. Quant à la victime, difficile de la changer. Donc, selon votre approche de systémicienne, on doit changer la relation entre eux.Pour cela, plutôt que sanctionner le harceleur, il faut non pas changer, mais armer le harcelé. Avec des armes verbales. Dans l'optique de Palo Alto, on va prendre un virage à 180°. La plupart du temps, le harcelé dit explicitement « Arrête », mais d'une façon tellement molle que ça signifie « Continue» implicitement. Or il faut dire au harceleur « Continue » explicitement, mais d'une façon telle que les conséquences vont implicitement inciter à arrêter. Je m'explique. Prenons un exemple basique, avec un enfant de 3e qui se fait tabasser par des petites brutes n'ayant pas beaucoup de vocabulaire pour s'exprimer. Une des façons de se défendre va être de dire: « Je trouve que tu passes beaucoup de temps à me toucher. Je me demande si tu ne serais pas amoureux de moi? » La victime ne dit plus d'arrêter, mais le risque pour le harceleur s'il continue, c'est se faire traiter de « pédé ». Jusqu'à présent, taper n'avait que des conséquences positives en termes de pouvoir sur l'autre. Désormais les conséquences peuvent être néfastes en termes de popularité, dans leur vision du monde à eux. Si les harceleurs ne sont pas bien malins, ne risquent ils pas de prendre au premier degré la consigne de continuer, et donc de s' énerver encore plus ?En effet. Dans ce cas, il faut prévoir d'accentuer encore la réponse: « Tu continues à me toucher parce que vraiment ça t'excite, en fait ! » L'idée est que les harceleurs prennent conscience du risque, en l'occurrence, de se faire traiter de pédé, parce que ça, je peux vous assurer que ça leur fiche la trouille ! Est-ce que ce genre de stratégie marche sur tous les harceleurs ?Je ne sais pas, il y a peut-être 20 % d'échecs, mais en tout cas, ça marche mieux que les leçons de morale ! Vous estimez que harcèlement et cyber harcèlement sont de même nature. Les solutions le sont-elles également?Le cyber harcèlement fait très peur aux plus de 40 ans, en gros, et les tentatives de solution donnent des résultats encore pires que dans la cour de récréation : dans les consignes de !'Éducation nationale, on n'est vraiment que dans la dénonciation. « Dénonce, tu n'es pas capable de te défendre... ». Or il faut modifier la structure relationnelle sur le Web comme dans la cour. Une jeune fille de 15ans se faisait traiter de Zlatan, sur le Net et en cours, parce qu'elle avait soi-disant un grand nez. Je lui ai demandé de changer sa photo sur Facebook pour mettre celle de Zlatan. Ça a complètement calmé les harceleurs: quelqu'un qui accepte le jeu est beaucoup moins intéressant. | "Dans la cour, on doit puiser dans ses propres ressources pour s'en sortir : celui qui brise ce code perd considérablement de sa popularité en une seconde" | |
Caricature de Zlatan Ibrahomovitch, footballeur vedette "Je lui ai demandé de changer sa photo sur Facebook pour mettre celle de Zlatan" | Les harceleurs choisissent-ils une autre proie, ou cessent-ils de harceler ?Je ne saurais trop le dire. Je ne les ai pas en consultation, eux, puisque leurs parents considèrent qu'ils sauront se défendre dans la vie... Au moins, ces enfants auront constaté qu'ils ne peuvent pas toujours être tout-puissants. Ils n'auront plus ce sentiment d'impunité chevillé au corps. Selon une enquête britannique, les enfants harceleurs auront plus d'ennuis que les autres avec la justice, pas parce qu'ils sont méchants, mais parce qu'ils se croient au-dessus de tout : le changement de posture n'est donc pas intéressant seulement pour le harcelé, mais aussi pour le harceleur. Même s'il ne faut pas être trop optimiste pour autant... Vous dites qu'il ne faut pas nier ni même minimiser les émotions des harcelés, mais qu'il faut les réorienter, comme la peur, ou les amplifier, comme la colère et la tristesse. Pourquoi ?Une des tentatives de solution très fortes des parents, c'est de dire: « Fais comme si tu n'entendais pas, nie ta douleur et ta peur ... » Ca ne marche pas ! Un gamin de neuf ans, quand on lui dit « Fais comme si tu n'entendais pas », ça veut dire quoi ? Il va rentrer la tête dans les épaules, devenir tout rouge et pleurer dans les toilettes ! La peur peut même être tellement forte qu'elle empêche toute forme de colère. Or la colère est motrice dans ce genre de situation. Les enfants harcelés que je vois ne sont pas en colère, et ça m'ennuie beaucoup ! Il faut leur dire: « Je comprends que tu aies peur, d'autant que ça peut continuer et devenir de pire en pire si tu persistes à te recroqueviller, baisser la tête et attendre que les coups s'arrêtent.» Je réoriente alors la peur vers les tentatives de solution. Pourquoi réorienter la peur vers la colère? N'est-il pas préférable de garder son sang-froid face aux harceleurs ?La plupart des enfants harcelés rasent les murs, mais quelques-uns perdent le contrôle avec une crise de colère disproportionnée sur le moment et se donnent en spectacle, ce qui excite beaucoup les harceleurs. J'ai vu des classes entières se mobiliser pour faire péter les plombs à un enfant. Ou à un prof, ce qui est encore plus amusant (voir encadré). Néanmoins, un peu de colère froide convient très bien pour décocher une flèche et faire que le harceleur, à son tour, se donne en spectacle. Vous expliquez que le fait d'être armé d'une flèche, justement, dispense parfois de la décocher...C'est très souvent le cas en primaire : pratiquement chaque fois qu'un enfant sort de consultation avec une flèche, il hurle de joie dans le hall. Ensuite, en arrivant dans la cour de l'école, au lieu de baisser les yeux, de passer inaperçu, il cherche ses agresseurs, il veut en découdre, il a un truc à dire. Les harceleurs ont une sorte de radar, qui leur fait penser : « Je ne vais pas y aller...» Ils sentent que cette fois, il y a danger. Ce qui énerve encore plus le harcelé, et renforce le « Continue » à la place du « Arrête ». | |
Des enfants anciennement harcelés décident-ils | C'est une défense qui se sert de la force de l'adversaire, comme l'aikido Françoise Dolto, Psychiatre, psychanalyste 1908 - 1988 | |
Les bases théoriquesSource : Chagrin scolaire, site du groupement de thérapeutes éponyme Pragmatiques par nature, les praticiens formés et supervisés au Chagrin Scolaire consultent tous selon les prémisses rigoureuses de la thérapie brève et stratégique issue de l’Ecole de Palo Alto. Nous fonctionnons sur le mode de la résolution de problèmes « ici, maintenant » en tentant de briser les cercles vicieux entre eux et les autres et parfois entre eux et eux-mêmes dans lesquels sont enfermés nos patients. L’idée à la fois simple et géniale qui sous-tend en effet toute l’approche clinique des penseurs de l’École de Palo Alto est le constat que c’est souvent ce que nous mettons en place pour tenter de résoudre le problème qui l’aggrave, ainsi souvent que la souffrance qui y est associée. Comme si nous mettions des bûches sur un feu pour l’éteindre, générant ainsi bien involontairement de magnifiques flambées de ce fameux problème, alors que nous visons évidemment l’inverse. C’est ainsi que comme le disait Watzlavick : « le problème, c’est la solution ». Les praticiens formés et supervisés au Chagrin Scolaire vont donc proposer aux enfants, adolescents, parents, enseignants, professionnels de l’enfance qu’ils reçoivent en consultation des « prescriptions » comportementales pour qu’ils arrêtent de mettre des bûches dans le feu. Car pour arrêter de faire quelque chose, il est souvent beaucoup plus facile de faire autre chose à la place. À l’instar de l’équipe du Mental Research Institute, nous fixons un maximum de dix séances à nos consultations et travaillons le plus souvent possible en groupe. C’est ainsi que nous offrons à nos patients qui le souhaitent la possibilité de bénéficier du cerveau collectif de notre équipe par l’intermédiaire de notre système vidéo intégré. En consultant au Chagrin Scolaire, vous êtes assuré du respect rigoureux des prémisses de l’École de Palo Alto, du travail de praticiens fréquemment supervisés et d’une spécialisation unique en France de cette approche dans le domaine de la souffrance en milieu scolaire. | ContactsChagrin Scolaire est un regroupement de psychopraticiens spécialisés dans les interventions visant à apaiser les souffrances scolaires. Celles-ci peuvent être de plusieurs ordres :
Des formations agréées sont également dispensées, des conférences, etc. Lyon Emmanuelle Piquet, Nathalie Goujet 40, Rue Delandine, 69002 Lyon. 03.85.38.37.34 Mâcon Emmanuelle Piquet, Nathalie Goujet 9, rue Boccard, 71000 Mâcon. 03.85.38.37.34 Paris Nathalie Goujet 62, Rue Tiquetonne, 75002 Paris 03.85.38.37.34 Nantes Bénédicte Petreau Lemond 18, Rue Marceau, 44000 Nantes 06.61.73.31.43 Louvain Le Cap, 2201 rue de bonne espérance 1348 Louvain-la-Neuve, Belgique 00 32 486 03 17 59 Equipe "Virages" (formations) 03.85.38.37.34 Marina Blanchart, Philippe Faidherbe, Joëlle Ingber, Pascale Materne, Véronique Simon, Edward Storms |