Les psychotropes et nous - III.2 Métaboliseurs lents
Sommaire
I. Bases de pharmacocinétique
- Qu'est-ce que la métabolisation ?
- Qu'est-ce que la concentration ?
- Libération et absorption
- La demi-vie
- Le volume de distribution
- L'espace "thérapeutique"
- Thérapeutique mais aussi ...
- Rapprocher ou éloigner les prises : quel effet ?
- Les médicaments à libération prolongée
- Vivent les injections ?
- Enfants et psychotropes
- Oui à la prévention, non au dépistage
- La loi et les prescriptions hors AMM
- Métabolisme des enfants et adolescents
V. Annexe : tableau des concentrations maximales par psychotrope
Qu'est-ce qu'un métaboliseur lent ?
Comme son nom l'indique, le "métaboliseur lent" est une personne qui métabolise lentement, c'est-à-dire dont les enzymes du foie, chargées naturellement de transformer les produits en excès pour faciliter leur élimination, travaillent plus lentement que d'autres, ou sont déficients. De ce fait, avec la même dose d'un médicament que cet enzyme est censé traiter, le métaboliseur lent va avoir une concentration plus élevée de médicament qu'une personne du même âge, poids, régime alimentaire, etc.
Courbe de concentration avec une dose quotidienne "normale" et pour une personne "standard"
Courbe de concentration de la même dose, pour un métaboliseur lent, de même âge, même poids.
Qui sont les métaboliseurs lents ?
Ce chiffre de 5 à 10 % ne compte pas les personnes les personnes âgées, dont le métabolisme naturel et normal diminue comme vu précédemment, ne compte pas les personnes ayant une insuffisance hépatique ou rénale ou toute autre maladie diminuant le métabolisme hépatique, ne compte pas non plus les personnes prenant plusieurs médicaments, lesquelles auront souvent aussi des concentrations trop importantes du fait de la concurrence enzymatique.
Sachant par ailleurs que 20 % des français se voient prescrire des psychotropes, et que donc 10 % d'entre eux au bas mot sont susceptibles de ne pas supporter les doses de référence standardisées, lesquelles sont administrées la plupart du temps sans connaissance de leur spécificité - les doses "standard" étant indiquées par les fabricants pour des personnes "standard" - alors on est en mesure d'imaginer les répercussions que la prescription aveugle peut avoir sur 150.000 métaboliseurs lents : le résultat à rapprocher des quelques 20.000 à 30.000 décès (selon les sources) pour causes iatrogènes chaque année dans notre pays.
Une origine génétique établie : les variants du cytochrome CYP-2D6
Pour ce qui est des psychotropes, l'un des enzymes qui nous intéresse est le CYP-2D6, qui appartient à la famille des "cytochromes P450" (abbréviation: CYP). Cette famille d'enzymes cytochromes P450 catalyse l'oxydation ou la réduction de substances lipophiles endogènes (stéroïdes, acides gras, biliaires, prostaglandines) et exogènes (médicaments), les transformant en produits plus polaires, (hydrophiles), facilitant ainsi leur élimination dans les urines.
CYP2D6 a ceci de particulier qu'il métabolise 25 % des médicaments que l'on trouve sur le marché, alors qu'il ne représente qu'une minorité des CYP (2 %). Mais la plupart des psychotropes font partie de ces médicaments (tableau 1), ce qui fait que nous sommes très concernés par la question des métaboliseurs lents.
CYP2D6, en outre, est sujet à un polymorphisme génétique monogénique : monogénique car un seul gène codant (situé sur le bras long du chromosome 22 (22q13,1) (2)), peut avoir, suivant les individus, des variations ou défauts qui sont les uniques responsables du polymorphisme. Polymorphisme signifie qu'il y a des les variantes de l'enzyme CYP2D6, ou des carences, responsables d'une activité altérée ou au contraire suractive du métabolisme.
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Comment savoir si l'on est métaboliseur lent ?
Il y a statistiquement une chance sur 10 que vous soyez métaboliseur lent, moins pour les personnes d'autres origines ethniques que "caucasienne" (1).
Si vous prenez un seul des psychotropes indiqué comme "substrat" ou "inhibiteur" dans le tableau 1, suivez notre recommandation générale - valable pour tous les psychotropes et toutes les personnes - de faire mesurer régulièrement votre concentration sanguine. Insistez car certains médecins ou psychiatres croient encore, ou feignent de croire qu'il suffit de prescrire une "dose dans la fourchette" pour que la concentration soit "normale". Leurs sacro-saints "protocoles" appris par coeur ne prévoient pas de mesurer la concentration de tous les produits, et ils ne le font généralement que pour le peu de produits pour lesquels la mesure est obligatoire : lithium, clozapine, etc.
Si vous ressentez fortement les effets secondaires en prenant un seul de ces produits "substrat" ou "inhibiteur", les chances que vous soyez "métaboliseur lent" grimpent à 44 %. Et il est possible que vous soyez en "surdosage" alors que vous prenez une dose "normale". Dans ce cas la mesure de concentration est indispensable : si votre concentration est trop élevée alors qu'aucune autre raison n'est là pour expliquer ce phénomène (âge, prise concomitante d'un autre substrat ou inhibiteur, insuffisance hépatique, ...), alors vous êtes probablement un métaboliseur lent.
Si en diminuant la dose sous la dose minimale "standard", vous refaites une analyse de concentration qui montre que votre concentration, elle, redevient "standard", alors vous métabolisez lentement.
Il existe aussi des tests génétiques : un simple screening des allèles défectueuses du chromosome 22 permet de détecter 95 % à 99 % des cas de métaboliseurs lents européens (1). Ces tests sont dispensés dans 29 laboratoires pharmacogénétiques en France, et un en Belgique, dont la liste est donnée ci-dessous.
Nos conclusions
Nous pensons que ces tests génétiques seraient bien plus utiles et "rentables" sur le plan de la santé publique, que d'autres recherches très en vogue et teintées d'eugénisme, sur le "dépistage génétique" de troubles mentaux dès le plus jeune âge, qui engloutit des millions dans un contexte de manque de moyens. Ceci permettrait aussi d'économiser des traitements, de mieux soigner, de réduire les effets secondaires, de sauver des vies.
Il appartient malheureusement à chaque personne concernée, et à ses proches, d'exiger que des analyses de sang soient faites dès le début d'un traitement, lors sa modification, et à échéance régulière.
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(1) Source : C. F. Samer J. A. Desmeules M. F. Rossier D. Hochstrasser P. Dayer, Le polymorphisme génétique du cytochrome P450 2D6 : le Bon, l'Ultrarapide, l'Intermédiaire et le Lent, La Revue Médicale Suisse, 2004
(2) Zanger UM, Raimondo S, Eichelbaum M. Cytochrome P450 2D6 : Overview and update on pharmacology, genetics, biochemistry. Arch Pharmacol 2004 ; 369 : 23-37.
L'enzyme CYP2D6 : bien plus complexe que les molécules qu'elle métabolise, une véritable usine chimique naturelle
Tableau 1 : liste des psychotropes interagissant avec l'enzyme CYP-2D6
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mt : métabolisé par CYP-2D6, ou "substrat", et donc concerne les métaboliseurs lents CYP-2D6.
inh : inhibe CYP-2D6, et concerne donc aussi les métaboliseurs lents CYP-2D6
ind : inducteur du CYP-2D6, provoque l'effet contraire de stimulation du CYP-2D6 dont l'activité est alors augmentée
non : ni métabolisé, ni inhibiteur, ni inducteur. Ne concerne donc pas les métaboliseurs lent du CYP-2D6.
Antipsychotique 1G : neuroleptique, ou antipsychotique de 1ere génération
ATU : autorisation temporaire d'utilisation
Liste des laboratoires de pharmacogénétique agréés
Cette liste est tenue à jour par les Drs C. Verstuyft et L. Becquemont, pharmacologues, Laboratoire de génétique moléculaire et Pharmacogénétique, hôpital Bicêtre, et Université Paris Sud. Elle est limitée à la France et la Belgique. Merci de nous signaler toute omission ou erreur.Revenir au sommaire