Les psychotropes et nous - II. Enfants et adolescents
Sommaire
I. Bases de pharmacocinétique
- Qu'est-ce que la métabolisation ?
- Qu'est-ce que la concentration ?
- Libération et absorption
- La demi-vie
- Le volume de distribution
- L'espace "thérapeutique"
- Thérapeutique mais aussi ...
- Rapprocher ou éloigner les prises : quel effet ?
- Les médicaments à libération prolongée
- Vivent les injections ?
- Enfants et psychotropes
- Oui à la prévention, non au dépistage
- La loi et les prescriptions hors AMM
- Métabolisme des enfants et adolescents
V. Annexe : tableau des concentrations maximales par psychotrope
"La coïncidence temporelle entre l'intérêt croissant pour le dépistage précoce des troubles psychotiques et la mise sur le marché des AP2G est troublante."
Hélène Verdoux, Professeur de psychiatrie, Hôpital Charles Perrens, Bordeaux, dans Les antipsychotiques, ch. 17 "usage et mésusage des antipsychotiques", p 224, 12-2013.
Enfants et psychotropes
La médication des enfants par des psychotropes est un sujet sur lequel les professionnels, même de la tendance pharmacologique, ne s'accordent pas.
La notion même d'efficacité, par exemple d'une molécule antipsychotique, ne saurait avoir le même sens sur un enfant de 10 ans et sur un adulte.
Nous, association, sommes opposés à toute médication de psychotropes sur enfants et adolescents, sauf éventuellement pour ces derniers dans le cadre de cures de désintoxication intensives. Les raisons sont les suivantes :
- Les psychotropes sont tous des traitements symptomatiques : ils masquent les effets, et ne traitent pas les causes.
- En inhibant des fonctions naturelles, ils empêchent la remarquable neuroplasticité naturelle - faculté de créer et de réorganiser les neurones - des jeunes, et donc perturbent le développement à un moment critique ; il y a en effet un âge pour chaque partie du développement psychique humain.
- La notion d'efficacité se définit en référence à la définition d'un trouble, et cette dernière est loin de faire l'unanimité pour les enfants et adolescents.
- Le traitement de troubles psychiques des enfants et adolescents passe d'abord par la psychothérapie, individuelle ou familiale, nous rejoignons en cela les recommandations des autorités sanitaires françaises, non suivies hélas par trop de psychiatres et médecins agissant sous influence des laboratoires pharmaceutiques.
- Lorsque la notion de trouble n'est pas sujette à discussion, comme pour la plupart des "troubles envahissants du développement", l'utilité d'une médication est également contestée par les professionnels. Il convient de préciser que sous le terme "professionnels", nous n'incluons pas les psychanalystes - ou "psychothérapies dynamiques" - , dont nous contestons radicalement les pratiques car, s'ils s'abstiennent officiellement de prescrire des médicaments, leur thérapie, basée sur l'attente inactive du miracle, conduit les personnes inexorablement à l'enfermement en institution à l'âge adulte, avec contention et surmédication au final.
En France :
- Les autorités sanitaires proscrivent la prescription de psychotropes aux enfants et adolescents, sauf en complément d'une thérapie psychologique (le médicament étant le complément de la thérapie, et non l'inverse).
- Les laboratoires et les auteurs, psychiatres en lien avec les laboratoires, reprennent cette recommandation en introduction de leurs textes, puis concrètement ne parlent plus que de médication : comme pour les adultes, ils se désintéressent totalement de la psychothérapie. Concrètement, ils ne respectent pas les recommandations, ce que nous dénonçons, en plus du non respect des lois sur la déclaration des liens d'intérêt.
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Oui à la prévention, non au dépistage
En France encore, on a de moins en moins les moyens, en terme de personnel et de formation, de prendre correctement en compte les personnes faisant un premier épisode psychotique, ou présentant toute sorte de difficulté psychique. Pour les "Troubles envahissants" (spectre autistique, etc.), le droit au diagnostic, fondamental, n'est pas respecté.
Il y a six mois d'attente pour obtenir un rendez-vous chez un pédopsychiatre. Outre le délai qui rend l'intervention souvent caduque, il y aura en plus le risque de tomber sur un praticien imprégné de concepts psychanalytiques : au final ce sera toujours "de la faute des parents", sans qu'aucune solution réelle ne soit proposée à l'enfant.
Dans ce désert de moyens, curieusement, on parle abondamment depuis une quinzaine d'années de "dépistage"...
La réalité est que le dépistage ressemble fortement à une campagne de désignation d'enfants aux structures. Que peuvent faire ces structures si l'enfant va assez bien ? Elles se sentent tenues de le "surveiller", et aussi de "l'étudier". L'enfant sert de matière première à l'une des centaines d'études qui nourrissent les professeurs de psychiatrie, et donc la plupart son financées par les laboratoires. L'enfant, même "asymptomatique", ne sortira pas indemne de cette "observation" stigmatisante. Naturellement, des psychotropes à tester seront administrés dès la première agitation ou manifestation d'humeur que l'on prendra aussitôt pour un "prodrome". (6)
Hélène VERDOUX, psychiatre épidémiologiste incontestée, s'insurge dans l'ouvrage de référence "Les psychotropes", et fait un lien entre ces campagnes et la mise sur le marché des AP2P ou Antipsychotiques de 2eme génération :
"Un autre exemple de disease mongering (5) appliqué aux prescriptions d'antipsychotiques concerne les programmes d'intervention précoce dans les troubles psychotiques débutants. Le postulat sous-jacent est que le seuil différenciant les personnes nécessitant ou non un traitement doit être déplacé pour inclure les personnes dites « à haut risque » ou en phase dite « prodromique ». Même si personne ne conteste les bonnes intentions des promoteurs de ces programmes, la coïncidence temporelle entre l'intérêt croissant pour le dépistage précoce des troubles psychotiques et la mise sur le marché des AP2G est troublante. L'absence de démonstration d'un réel bénéfice à long terme des programmes de dépistage va, espérons-le, contribuer à modérer l'enthousiasme et le prosélytisme actif qui a prévalu pendant quelques années concernant la mise en place de ces programmes, et donc l'extension des indications des antipsychotiques aux sujets à haut risque. Cependant, même si l'extension des frontières des troubles bipolaires et psychotiques est un phénomène plausible, il n'explique probablement qu'une faible partie de l'augmentation récente des prescriptions d'antipsychotiques. Une augmentation des prescriptions hors AMM est donc très plausible. Celle-ci est incontestable dans les deux classes d'âge extrêmes. La majorité des prescriptions d'antipsychotiques chez les enfants et adolescents se font, soit en l'absence d'AMM dans cette classe d'âge même si les AMM existent pour les troubles correspondant chez l'adulte (comme c'est par exemple le cas pour les troubles bipolaires), soit en l'absence totale d'AMM y compris chez l'adulte (comme par exemple pour le TDAH).
" Hélène Verdoux, Les antipsychotiques, ch. 17 "usage et mésusage des antipsychotiques", p 224, 12-2013.
Le discours des laboratoires et du lobby
"Les troubles mentaux, survenant chez l'enfant et l'adolescent avec une prévalence estimée de 10 à 30 p. 100 (3), constituent une cause majeure de morbidité pédiatrique. À l'exception du développement des psychostimulants dans la prise en charge du trouble déficitaire de l'attention avec hyperactivité, la psychopharmacologie pédiatrique s'est essentiellement focalisée sur une généralisation des indications de molécules existantes, validées en population adulte, plutôt que sur le développement de principes actifs spécifiques à l'enfant et l'adolescent. Un nombre important de prescriptions médicamenteuses en l'absence d'autorisation de mise sur le marché (AMM) ont par conséquent été observées dans ces tranches d'âge. Trente pour cent des prescriptions en pédiatrie libérale et 60 % des prescriptions chez les enfants hospitalisées seraient ainsi réalisées hors AMM (4). Selon une étude récente, les antipsychotiques seraient à eux seuls concernés dans plus de 19 p. 100 des cas, pour un taux moyen de prescriptions d'antipsychotiques entre 2 et 19 ans variant de 0,2 à 1 p. 100, selon les pays.
Les antipsychotiques ont toutefois démontré leur efficacité dans le traitement de nombreuses pathologies pédopsychiatriques (...)
Suivent 15 pages dans lesquelles on détaille l'art et la manière de traiter les enfants aux antipsychotiques. Les auteurs ne déclarent pas leurs liens d'intérêt dans cet article et sont de ce fait, et au surplus, en infraction à la loi, notamment pour le premier par l'existence d'avantages perçus et de conventions avec les laboratoires BMS-Otsuka, GSK et Lundbeck au cours des 24 mois précédent la publication.
(2) Messieurs Olivier BONNOT et Renaud JARDRI, Professeur en psychiatrie et maître de conférences à l'université de Nantes, dans Les antipsychotiques, Ch. XII "Maniement des antipsychotiques en population pédiatrique", dec 2013, Lavoisier.
(3) les auteurs citent une étude américaine alarmiste, et ne se donnent même pas la peine de trouver les chiffres français
(4) la faute d'orthographe fait partie du texte
A contrario, la prévention existe, mais s'intéresse aux psychoses débutantes : la méthode d'intervention rapide et faisant intervenir le réseau social de la personne, s'est avéré très efficace, et a pratiquement éradiqué la schizophrénie en Finlande (7). Mais ceci se faisant sans médicaments, et nécessitant une organisation en équipe et non hiérarchique, il reste du chemin à faire pour inverser les habitudes et croyances de la psychiatrie française.
(6) Voir notre campagne contre un programme de dépistage précoce soutenu par l'Unafam et les laboratoires pharmaceutiques
(7) Voir Open Dialogue : la méthode qui a pratiquement fait disparaître la schizophrénie en Finlande
Aspect légal des médicaments sans AMM : Loi L5121-12-1 du Code de la Santé Publique
Le fait de ne pas avoir d'AMM (autorisation de mise sur le marché), n'empêche pas légalement un médecin de donner un médicament en France. C'est possible s'il existe une autorisation ou recommandation temporaire d'utilisation (ATU/RTU), ou
- en l’absence d’alternative médicamenteuse appropriée ;
- le prescripteur le juge indispensable au regard des données acquises de la science ;
- le traitement est reconnu comme efficace et non dangereux par la communauté et la littérature scientifiques ;
- son indication est « indispensable » au regard de l’état du patient, de sa demande et des connaissances scientifiques du moment.
- Le prescripteur informe le patient de l’absence d’AMM de la prescription,
- de l’absence d’alternatives thérapeutiques,
- des bénéfices attendus et des risques ou contraintes du médicament,
- et aussi des conditions de prise en charge par l’assurance maladie. L’ordonnance comporte la mention spécifique : « prescription hors autorisation de mise sur le marché ». La prescription est inscrite et motivée dans le dossier médical du patient
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Quels sont les psychotropes autorisés en France pour les mineurs ?
Seuls les produits ci-dessous sont autorisés dans les conditions précisées. La fiche de l'ANSM précise également toutes les autres contre-indications. Ces indications ne préjugent pas de notre avis, qui est négatif pour tous les produits. On constate que les autorisations sont variées, et semblent dépendre plus des accidents médiatiques (Deroxat) et des pressions du lobby (Prozac) que de la politique de santé affichée . Ainsi voit-on revenir le Prozac, initialement interdit, et interdire le Deroxat, initialement autorisé, dans le plus grand désordre. Certains produits ont un avis et des résultats extrêmement défavorables lors d'une réévaluation, sans que l'ANSM n'"ose" retirer leur autorisation (exemple : Haldol, Risperdal, Depakote, etc.). Avis incompréhensible pour le Depakote, autorisé sous conditions, tout en indiquant : "La tolérance et l'efficacité de DEPAKOTE, dans le traitement des épisodes maniaques du trouble bipolaire n'ont pas été évaluées".
Antipsychotiques
- aripiprazole (Abilify) à partir de 15 ans (trouble schizophrénie) ou 13 ans (épisode maniaque d'un trouble bipolaire)
- amisulpride (Solian) non recommandé mais autorisé à partir de 15 ans (trouble schizophrénie)
- clozapine (Leponex) non recommandé mais autorisé à partir de 16 ans
- risperidone (Risperdal) traitement à court terme (jusqu'à 6 semaines) de l'agressivité persistante chez les enfants (ayant au moins 5 ans) et les adolescents présentant un déficit intellectuel et des troubles des conduites."Avant de prescrire de la rispéridone à un enfant ou à un adolescent présentant des troubles des conduites, une évaluation complète des causes physiques et sociales du comportement agressif telles que douleur ou stimulations environnementales inappropriées est nécessaire." Suit une longue description des effets indésirables propres aux enfants et adolescents.
- halopéridol (Haldol) : chorées (mouvements anormaux), maladie des tics de Gilles de la Tourette chez l’adulte et l’enfant de plus de 3 ans
- ciamémazine (Tercian) : autorisé dès 3 ans pour "troubles graves du comportement de l'enfant avec agitation et agressivité" (ce qui n'est pas un diagnostic, ndlr)
- autres (Xeroquel, Zyprexa) : interdits
Thymorégulateurs
- lithium (Theralithe) : déconseillé chez l'enfant (signifie donc : autorisé)
- valproate (Depakote) : "Le traitement par DEPAKOTE doit être initié et surveillé par un médecin spécialiste du trouble bipolaire. Le traitement doit être instauré uniquement en cas d’inefficacité ou d’intolérance aux autres traitements et le rapport bénéfice/risque doit être réévalué attentivement, à intervalles réguliers au cours du traitement. DEPAKOTE doit être prescrit de préférence en monothérapie et à la dose minimale efficace. La dose journalière peut être répartie en 2 prises minimum (...) La tolérance et l'efficacité de DEPAKOTE, dans le traitement des épisodes maniaques du trouble bipolaire n'ont pas été évaluée".
- lamotrigine (Lamictal) : interdit aux mineurs pour le trouble bipolaire (autorisation uniquement comme antiépileptique)
- carbamazepine (Tegretol) : aucun commentaire sur les enfants / adolescents, donc autorisé.
- oxcarbamazepine (Trileptal) : pas d'AMM pour les troubles bipolaires, uniquement pour l'épilepsie, à partir de 6 ans.
Antidépresseurs
ISRS
- fluoxetine (Prozac) : ne peut être proposés qu'après échec d'un traitement psychothérapeutique (4 à 6 séances), et uniquement pour les dépressions moyennes à sévères.
- paroxetine (Deroxat) : autorisé mais déconseillé aux moins de 18 ans (risques suicidaires)
- escitalopram (Seroplex) : non indiqué et déconseillé aux moins de 18 ans (risques suicidaire, comportement "hostile")
- citalopram (Seropram) : non indiqué et déconseillé aux moins de 18 ans ("")
- sertraline (Zoloft) : non autorisé, sauf pour un trouble obsessionnel compulsif, de 6 à 17 ans.
- venlafaxine (Effexor) : non indiqué
- mianserine : déconseillé aux moins de 18 ans (risques suicidaires, comportement "hostile")
- amitriptyline (Laroxyl) : déconseillé sauf "Enurésie nocturne de l'enfant dans le cas où toute pathologie organique a été exclue"
- duloxetine (Cymbalta) : non indiqué
- mirtazapine (Norset) : non indiqué
Anxiolytiques, somnifères
Assez peu d'information officielle concernant les enfants. "L'utilisation chez l'enfant doit rester exceptionnelle" est-il écrit sur diazepam (Valium) par exemple, mais la contre-indication n'est pas nette. Idem pour le prazepam (Lysanxia) "Non recommandé" L'autorisation est donc la même que pour l'adulte, soit limitée en durée (4 semaines pour les somnifères, 8 semaines pour les anxiolytiques) et avec, depuis 2015, obligation de prévoir l'arrêt dès l'instauration d'un traitement.
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Métabolisme des enfants et adolescents
C'est un moindre mal : il est plus rapide que chez l'adulte dans toutes les étapes de la vie du produit dans le corps. A poids égal, un adolescent est donc supposé prendre plus de médicament pour le même effet, qu'une personne de 30 ans. Il importe, pour tous, à partir du moment où la décision de médiquer est prise (ce que nous n'approuvons pas) d'agir de préférence par augmentation de la fréquence quitte à diminuer la quantité de chaque prise, que par augmentation de la quantité d'une prise, pour des raisons exposées tout au long de ce chapitre.
Plus précisément, par rapport à l'adulte :
- Absorption : vitesse supérieure ou égale
- Concentration maximale dans le plasma : plus tôt
- Volume de distribution : très supérieur
- Demi-vie : très inférieure
- Transmissibilité : très inférieure chez le nourrisson, puis égale
- Métabolisation : vitesse supérieure
- Élimination : vitesse supérieure
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