La méthode Open Dialogue : bases théoriques et institutionnelles
- Document original : "The Open Dialogue Approach for Acute Psychosis : Its Poetics and Micropolitics", Jaakko Seikkula, Mary E. Olson, in Family Process, Vol 42, No 3, (c) FPI. inc. , 2003
Pour une première découverte de la méthode Open Dialogue, nous vous invitons à lire notre article plus accessible : "Open Dialogue : la méthode qui a pratiquement fait disparaître la schizophrénie en Finlande"
Keropudas, près de Torneå, Finlande
Résumé
En Finlande, une approche psychothérapeutique par la parole et en réseau a émergé, appelée “Open Dialogue". Elle fait appel aux principes dialogiques de Bakhtin (Bakhtin, 1984) et s’enracine dans la tradition Batesonniene (1)(2).
Deux niveaux d’analyse, conceptuel et sur le positionnement institutionnel, sont présentés : - Le niveau conceptuel (3) comprend trois principes : “tolerance de l’incertitude”, “dialogisme” (4) et “polyphonie dans le réseau social”. La réunion thérapeutique montre de quelle façon ces concepts opèrent pour générer un dialogue thérapeutique.
- Le positionnement institutionnel (3) est la pratique de cette méthode dans l'institution, qui soutient cette façon de travailler et s'intègre dans le NAT - Need Adapted Treatment, (5)
La recherche récente suggère qu’Open Dialogue a amélioré les résultats pour les jeunes dans de diverses crises psychiatriques aiguës, telles que les psychoses, comparée au traitement habituel. Dans une étude non randomisée de suivi à 2 ans d’un premier épisode de schizophrénie, l’hospitalisation a diminué jusqu'à 19 jours environ ; la médication neuroleptique a été nécessaire dans 35 % des cas ; 82% n’avaient plus de symptômes psychotiques, ou n’avaient plus que des symptômes bénins ; et seulement 23 % bénéficiaient d’allocations d’invalidité.
Jaakko Seikkula, professeur de psychologie, est assistant senior au Département de Psychologie de l’Université de Jyvaskyla, et Professeur à l’Institut de Médecine Communautaire à l’Université de Tromso, Norvège. Jaakko Seikkula, Department of Psychology, University of Jyvas kyla, P.O.Box 35, FIN 40351, Jyvaskyla. Email: seikkula@psyka.jyu.fi
Mary Olson, médecin de la faculté Smith College School for Social Work, Northampton, MA, USA et est membre chercheur de son Centre pour les Pratiques Innovantes. A l’automne 2001, elle fut nommée Professeur émérite pour la Finlande au Département de Psychologie de l’Université de Jyväskylä.
Un Prix du Mérite de l’Enseignement Finlandais a permis la recherche et la préparation de cet article.. Remerciements à l’équipe entière d’environ 100 professionnels de l’Hôpital Keropudas et des cliniques locales de consultation externe.
Sommaire
Voir aussi :
- "Open Dialogue : la méthode qui a pratiquement fait disparaître la schizophrénie en Finlande"
- Open Dialogue dans les autres pays scandinaves - 1999-2017
- Open Dialogue aux USA : 2016, les premiers résultats à Framingham
- Open Dialogue aux USA : New York et Atlanta
- Open Dialogue en Italie et en Suisse
- Open Dialogue : les 12 critères de fidélité à la pratique dialogique - Mary Olson, Jaakko Seikkula, 2014
(1) Gregory Bateson, 1984-1980. Anthropologue, psychologue, épistémologue américain. Influencé par la cybernétique, la théorie des groupes et celle des types logiques, il s'est beaucoup intéressé à la communication (humaine et animale), mais aussi aux fondements de la connaissance des phénomènes humains. Il est à l'origine de l'école de Palo Alto, elle même à l'origine de la thérapie familiale.
En 1954, Bateson obtient un financement pour deux ans de la part de la Fondation Macy pour l'étude de la communication chez les schizophrènes. Le groupe est rejoint par le psychiatre Donald D. Jackson. En 1956, les membres du projet publient leur article commun "Vers une théorie de la schizophrénie" qui introduit le concept de « double contrainte ». Il obtient la nationalité américaine la même année. Dans les années 1970, il enseigne la psychologie humaniste à l'université de la Psychologie Humaniste de San Francisco, devenue plus tard Saybrook University. Il meurt le 4 juillet 1980, à l'âge de 76 ans, au San Francisco Zen Center.
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(2) Mikhaïl Mikhaïlovitch Bakhtine, 1895-1975 Russie et URSS. Historien et théoricien russe de la littérature. Bakhtine s'est également intéressé à la psychanalyse, à l'esthétique et à l'éthique, et a été un précurseur de la sociolinguistique.
C'est cependant pour ses travaux sur la littérature et, plus spécifiquement, sur le roman qu'il est le mieux connu aujourd'hui. Intéressé par les travaux des formalistes russes, il souligne les limites de leurs méthodes. Il a notamment développé les concepts de dialogisme et de polyphonie dans le champ littéraire.
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(3) Ndt: les termes "Poetics" et "Micropolitics" de l'article original ont ici été traduits respectivement par "Concepts" et "Positionnement institutionnel"
(4) Le dialogisme, souvent associé à la polyphonie, est un concept développé par le philosophe et théoricien de la littérature Mikhail Bakhtine dans son ouvrage Problème de la poétique de Dostoïevski. Pour Bakhtine, le dialogisme est l'interaction qui se constitue entre le discours du narrateur principal et les discours d'autres personnages ou entre deux discours internes d'un personnage. Grâce à ce procédé, l'auteur peut laisser toute la place à une voix et une conscience indépendantes de la sienne et garder une position neutre, sans qu'aucun point de vue ne soit privilégié. Ce procédé permet de garder intactes les oppositions entre des conceptions idéologiques divergentes plutôt que de les masquer dans un discours monologique dominé par la voix de l'auteur. Plus d'info
(5) Ndt : traitement adapté au besoin, politique nationale mise en oeuvre en Finlande.
Introduction
En Finlande, une approche thérapeutique par la parole et en réseau, appelée Open Dialogue, a été lancée à l’Hôpital Keropudas en Laponie occidentale. L’un des auteurs (JS) a travaillé dans l’équipe originelle. Les autres membres de l’équipe qui ont écrit sur cette méthode sont Jukka Aaltonen, Birgitta Alakare, Jyrki Keranen, et Kauko Haarakangas (Haarakangas, 1997; Keranen, 1992; Seikkula, Alakare, & Aaltonen, 2001a).
Des études récentes suggèrent que ce modèle a amélioré la thérapie des personnes souffrant d’un premier épisode psychotique, en diminuant significativement le nombre d’hospitalisations, le taux de récidive, et le recours à la médication (Seikkula, Alakare, & Aaltonen, 2001b). Cette approche a obtenu une large reconnaissance large en Europe du Nord où Seikkula, avec le psychiatre norvégien Tom Andersen, a lancé un réseau international d’équipes utilisant Open Dialogue et les processus réflexifs (6) ("Reflective Processes") dans les modalités de prise en charge de crises aiguës en Russie, Lettonie, Lituanie, Estonie, Suède, Finlande et Norvège. Bien moins reconnue aux États-Unis, ce modèle mérite un examen plus attentif en tant que méthode d’intervention de crise et de soin pour les problèmes psychiatriques les plus sévères.
Au sein d’un cadre post-moderne et de constructivisme social (7), Open Dialogue intègre différentes traditions psychothérapeutiques dans leurs origines et évolutions. Dans le domaine familial, toutefois, son point de repère est la thérapie systémique de Milan (8). En commençant par une revue des approches de la psychose basées sur la communication, la première partie de cet article va décrire brièvement l’évolution théorique et clinique en dehors des sessions en réseau de thérapie familiale systémique. Nous poursuivrons en spécifiant les pratiques de langage d’Open Dialogue, puis présenterons une réunion thérapeutique de manière à cerner précisément ce qui se produit, instant par instant, dans un entretien thérapeutique. Pour terminer, la dernière partie traitera des contextes institutionnels et de formation dans lesquels cette approche est inclue, et présentera les résultats d’une étude.
Notre recherche sur l’approche Open Dialogue repose sur deux catégories décrites par le psychiatre communautaire Marcelo Pakman (2000) (9) . Il identifie la “poésie” et la “micropolitique” de la thérapie.
Le terme “poésie” se réfère aux pratiques du langage et de la communication face à face. (Hoffman, 2002; Olson, 1995). Dans Open Dialogue, on peut relever 3 principes :
- “tolérance à l’incertitude”,
- “dialogisme” et
- “polyphonie dans le réseau social”
(Seikkula et al., 2001a). Ces termes font écho et transforment les principes originaux de l’équipe de Milan d’”hypothesation”, de “circularité” et de “neutralité”, comme ligne de conduite pour l’animateur de la session. (Selvini-Palazzoli, Boscolo, Cecchin, & Prata, 1980).
La "micropolitique" d’Open Dialogue - ou pratiques institutionnelles élargies - , peut aussi offrir une perspective importante lorsque l’on examine et que l'on compare. La plupart des formes de thérapie familiale ont été des modèles en bureau, avec des stratégies pour un certain élargissement, alors qu’Open Dialogue est une pratique communautaire organisée dans un réseau social (10). Elle s’inscrit dans la plus large transformation des services de psychiatrie publique en Finlande, en lien avec la réforme appelée “Need Adapted Treatment” (5) (Alanen, 1997, Alanen, Lehtinen, Lehtinen, et al., 2000). Comme le reconnaissent Pakman et d’autres, il y a un besoin urgent aux USA pour de nouveaux modèles étendus de dialogue susceptibles de s’appliquer non seulement sur les termes échangés dans un lieu d'entretien, mais aussi dans le cadre plus vaste de la politique bureaucratique qui peut les contraindre et les annihiler. Tandis que les professionnels en Amérique luttent contre les problèmes dans un environnement chaotique, dicté par les procédures et le souci du management (Coffey, Olson, & Sessions, 2001), l’expérience finlandaise peut offrir une alternative claire par sa prise en compte en réseau des problèmes les plus difficiles.
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(6) Reflective process - que nous traduisons par "processus réflexif" est le nom d'une approche similaire à Open Dialogue et développé par Tom Anderson en Norvège. La "réflexivité", schématiquement et étymologiquement, fait référence au fait d'avoir avec l'autre, membre de l'équipe, sujet, etc., un dialogue dans les deux sens, au sens "miroir" de la racine du mot "réflexion". Cette approche voisine sera présentée ici dans de prochains articles.
(7) Le constructivisme social - social constructivism - (parfois nommé constructionnisme social ou socioconstructivisme) est un courant de la sociologie contemporaine lancé par Peter L. Berger et Thomas Luckmann dans leur livre The Social Construction of Reality (1966). Cette approche, à l'instar de la conception constructiviste développée en épistémologie, envisage la réalité sociale et les phénomènes sociaux comme étant « construits », c'est-à-dire créés, objectivés ou institutionnalisés et, par la suite, transformés en traditions. Le constructivisme social se concentre sur la description des institutions, des actions en s'interrogeant sur la manière dont ils construisent la réalité. Le constructivisme devient progressivement un des fondements de l'approche de Palo-Alto. Plus d'info
(8) Le groupe, ou "école" de Milan a été pionnier des thérapies systémiques familiales, avec le Centre de Thérapie familiale de Milan fondé en 1981 par Gianfranco Cecchin et Luigi Boscolo. Il est considéré comme l'une des prolongations de l'école de Palo Alto.
(9) Marcelo Pakman, né en 1953, psychiatre et psychothérapeute américain en exercice, auteur de nombreux ouvrages, a été notamment vice-président de l'American Family Therapy Academy et de l'American Society for Cybernetics.
(10) Le terme "perspective communautaire” apparaît dans les écrits de Lyrm Hoffman (2000), basés sur l’idée d’une pratique collective propose par Tom Andersen.
Réseau social - social network - Réseau réel, à ne pas confondre avec les "réseaux sociaux" internet et d'apparition récente.
Les approches de la psychose par la communication
Le projet Bateson
L’intérêt pour la psychose et la schizophrénie était prévalent dans les premières années des thérapies familiales. Le projet de recherche de Gregory Bateson et de ses collègues a culminé dans l’article phare sur la double contrainte (11) (Bateson, Jackson, Haley, & Weakland, 1956). Le traitement de patients psychotiques et de leurs familles était, en fait, un des points de départ essentiels de la thérapie familiale. Le concept de Bateson de communication en double contrainte (“double bind communication”) est venu d’une tentative théorique d’imaginer le type de contexte dans lequel le discours et le comportement psychotiques pourraient sembler adaptatifs (Weakland, 1960). Les écrits consécutifs de Bateson et de ses collègues (1962) ont révisé la formulation initiale de la théorie :
- "La manière la plus utile d’exprimer la description de la double contrainte, n’est pas faite en termes d’aliénant et de victime, mais en termes de personnes prises au piège d’un système actif qui produit des définitions contradictoires de la relation et par conséquent une détresse subjective." (p. 42).
Au lieu de regarder uniquement les modes des messages échangés, Bateson (1962) décida de mettre en avant le système plus large des relations qui génèrent ces paradoxes. Dans les décennies qui suivirent la fin du projet Bateson, d’autres recherches furent entreprises avec des familles et leurs enfants psychotiques.
L'équipe de Milan
Toutefois, aucune d’elles n’ont abouti aussi significativement en termes de développement d’un modèle identifiable de thérapie pour la psychose, que le travail de l’équipe de Milan. (Hoffman, 1981). Ces dernières ont devenues la contribution clinique majeure consacrée au problème de la psychose en utilisant une approche de communication. Doutant de la théorie de la double contrainte, l’équipe Milan inventa ce qu’elle appela le “modèle systémique pour les familles avec enfants à troubles sévères, psychotiques ou anorexiques". (Selvini-Palazzoli, Boscolo, Cecchin, Prata, 1978). Les italiens introduisirent la technique du contre-paradoxe pour dénouer la communication paradoxale. Par exemple, ils proposaient à la famille une nouvelle logique prenant une connotation positive, ou un nouvel agencement des comportements sous forme de rituels. (Boscolo, Cecchin, Hoffman, Penn, 1987). Ces idées eurent un effet radical dans le domaine des thérapies familiales, tant aux USA qu’en Europe. Toutefois, le modèle de Milan n’a produit une influence durable sur la psychothérapie des patients psychotiques que dans peu de pays.
Open Dialogue et la "psychoéducation"
Aux États-Unis, il y a eu à la place l’émergence de l’approche psycho-éducationnelle familiale qui vient d’une tradition différente, ne serait-ce que pour son positionnement par rapport aux membres de la famille (C. Anderson, Hogarty, & Reiss, 1980; Falloon, 1996; Falloon, Boyd, & McGill, 1984; Goldstein, 1996; McGorry, Edwards, Mihalopoulos, et al., 1996). Le point de convergence entre Open Dialogue et le programme de psychoéducation réside dans l’idée que ni le patient ni sa famille ne sont considérés comme responsables de la psychose, ni objet de traitement, mais “partenaire compétent, ou potentiellement compétent dans le processus de rétablissement” (Gleeson, Jackson, Stavely, Burnett, 1999, p. 390). Il y a beaucoup d’autres différences importantes dans les hypothèses théoriques d’Open Dialogue et les modèles largement diffusés de psychoéducation pour le traitement de la psychose. Pour plus d’information sur ces différences, se référer à Seikkula, Alakare, & Aaltonen (2001a).
La thérapie narrative d'externalisation
Enfin, Michael White (1995) (12) a appliqué sa pratique de thérapie narrative d’externalisation du problème, à la psychose. Cette méthode atténue les voix hostiles des personnes avec symptômes chroniques, en les plaçant en dehors de la personne plutôt qu’en les envisageant comme des manifestations d’un expérience intérieure. De façon similaire, Open Dialogue est orienté vers le dialogue social extérieur, mais fait un usage plus formel du réseau. Hors de l’Europe du Nord, les thérapies familiales n’ont pas mis l’accent sur le réseau lorsqu'elles traitent de psychoses aiguës.
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(11) Double contrainte - "double bind" - ; synonyme : “injonctions paradoxales”. La définition, dont Bateson est l'auteur, est donnée peu après dans le texte.
Illustration humoristique du concept de "double contrainte" ou "injonction paradoxale". Un exemple dans des circonstances de la vie réelle est donné plus loin.
(12) Michael White (1948, Adelaide - 2008, San Diego) est un psychothérapeute australien inventeur de la Thérapie narrative, qui est devenue une théorie importante pour la psychothérapie actuelle. Il a également été à la source de techniques qui furent adoptées dans d'autres approches théoriques. Il a été codirecteur du Dulwich Centre à Adelaide en Australie-Méridionale jusqu'en 2007. En 2008, il a créé le Narrative Practices Adelaide, un lieu de formation aux Pratiques Narratives renommé, avec un groupe de thérapeutes intervenant dans différentes parties du monde. Plus d'info...
Entrée de l'hôpital Keropudas | L'émergence d'Open DialogueDe la thérapie familiale à l’orientation en réseauL’équipe de l’hôpital Keropudas utilisait le modèle de Milan lorsqu’elle commença à rencontrer les familles dans les années 1980, et en fait, cette tentative de pratiquer une thérapie systémique dans une institution publique, se heurta rapidement des dilemmes pratiques originaux et inattendus. La première incitation à s’écarter de la thérapie familiale systémique était liée à la difficulté de recruter des familles à l’Hôpital Keropudas pour un thérapie familiale. Au début des années 1980, seul un petit nombre de patients et leur famille menèrent à terme une thérapie avec leur référent. Les idées et les pratiques commencèrent à changer en cherchant des solutions à ces problèmes concrets. Bien que la méthode de Milan fut élégante en théorie, on releva beaucoup de problèmes du même ordre rapportés à sa mise en pratique, spécialement lorsqu’il s’agissait de la traduire dans d’autres systèmes culturels et d’autres organisations que l’institution privée. Il y eut aussi beaucoup de témoignages par des praticiens, d’un inconfort et d’une difficulté d’établir des liens avec les familles en travaillant de cette façon. (Andersen, 1992, 1995; Hoffman, 1992, 2002; Lannamann, 1998). Ces expériences semblent émaner de la nature de ce modèle de haut niveau d’expertise et d’abstraction. En utilisant la métaphore du “Jeu”, la méthode originale de Milan tend à positionner la famille comme objet d’une action thérapeutique, plutôt qu’en partenaire du processus thérapeutique. Un autre important type de critiques et revues sont venues des théoricien(ne)s féministes, des mouvements de justice sociale et de thérapeutes, qui reprochaient le positionnement systémique neutre dans les cas d’abus et de violence (Goldner, Penn, Scheinberg, & Walker, 1990; MacKinnon & Miller, 1987). En 1984, à l’Hôpital Keropudas, c’est la reconnaissance de l’effet négatif d’une vision distante et réductrice de la famille, dans le cadre d’une procédure d’évaluation, qui a conduit à la réorganisation de la gestion des admissions à l’hôpital Kerupodas. La direction de l’hôpital a commencé alors à organiser des réunions thérapeutiques avant même toute forme de thérapie. Au delà, une raison de ce changement venait du fait que l’hôpital étant en partie un système psychiatrique d’état, les questions d’égalité d’accès pour tous les patients à ces nouvelles méthodes étaient centrales. Dans la pratique Finlandaise, tous les patients doivent être acceptés, et pas seulement ceux adressés et volontaires pour une thérapie familiale. Alanen et son équipe à Turku développèrent l’idée originale de réunions thérapeutiques comme partie intégrante de l’approche adaptée aux besoins(5) (Alanen, 1997). Peu à peu, ce type de rencontre évolua vers la forme thérapeutique aboutie. D’abord, les idées constructivistes (7), puis l’idée du dialogisme de Bakhtin (1984), Voloshinov (1996) et Vygotsky (1970) ont aidé à comprendre le nouveau phénomène qui émergeait dans la nouvelle pratique consistant à organiser des rencontres ouvertes contrastant avec les sessions de thérapie familiale. L’invention d’Andersen (1987, 1990, 1992) de l’équipe réfléxive ("reflective team")(6) et l’approche collaborative des systèmes de langage du groupe Galveston (H. Anderson & Goolishian, 1988) devinrent des repères cliniques significatifs pour le développement futur de ce qui est maintenant appelé Open Dialogue. Revenir au sommaire | |
L’organisation de la réunion thérapeutiqueDédiée à la fourniture d’une aide immédiate lors d’une crise, la réunion thérapeutique est le format de base d’Open Dialogue et a lieu dans les 24 heures du contact initial. Elle est organisée par une équipe mobile de crise composée de professionnels internes ou externes, et se tient, si possible, au domicile familial. Elle réunit la personne en crise aiguë avec l’équipe et toutes les autres personnes importantes (i.e. parents, amis, autres professionnels) en lien avec la situation. La réunion se tient physiquement dans un lieu ouvert, tout le monde étant assis dans la même pièce, en cercle. La responsabilité de réunir l’équipe et de mettre en place la réunion incombe au premier professionnel contacté par la famille. C’est ce membre particulier de l’équipe qui se charge de conduire la discussion. Il peut être décidé que tous les membres de l’équipe participent en posant des questions, ou bien on peut décider au préalable qu’une personne spécifique posera les questions et facilitera le dialogue avec les autres participants. La constitution de l’équipe varie en fonction de la situation spécifique et de l’histoire des précédentes rencontres avec la famille, tous les précédents thérapeutes étant invités. Toutes les décisions sur la thérapie en cours, la médication, l’hospitalisation sont discutées et prises lorsque toute le monde est présent. Il n’y a pas de réunion à part de l’équipe pour la planification du traitement. Il est plutôt conseillé de se focaliser sur ces questions de traitements plus tard dans la réunion, après que les membres de la famille aient eu l’occasion d’exprimer leurs craintes. Les acquis de la réunion seront résumés à la fin, en particulier les décisions prises. S’il n’y en a pas, il doit être bien établi que rien n’a été décidé. La durée des réunions peut varier, sachant qu’une réunion d’une heure et demie est le plus souvent suffisante. Que le patient soit hospitalisé ou pas, la même équipe reste impliquée et continue de rencontrer la personne et l'entourage : dans certains cas, pour une courte période, dans d’autres cas pour une beaucoup plus longue durée, jusqu’à ce que la situation urgente et les symptômes aient pratiquement disparu. Cette idée de “continuité psychologique”, l’implication soutenue de la même équipe au cours du temps, est essentielle dans cette approche. L'équipe reste connectée à la famille jusqu’à ce qu’il soit clair que les personnes sont hors de danger. La mise en place de la réunion thérapeutique a modifié le style de pratique “Milan” dans lequel il y a un long intervalle de temps entre les sessions, et a commencé à mettre en lumière le rôle de la parole et du langage dans la crise psychotique. L’intervention de crise n’était en général pas dans le modèle de Milan. En fait, les Italiens envisageaient la survenue d’une crise comme un “mouvement” dans le “jeu familial”, avec la réponse de l’équipe conçue pour la challenger. (Selvini-Palazzoli, et al., 1978). De ce fait, les départs pour rencontrer des familles en crises sur une base quotidienne et travailler intensivement avec elles, est un autre écart important par rapport à la méthode de Milan. Indépendamment de ces différences, cette première différenciation d’Open Dialogue – l’établissement de la réunion thérapeutique - peut avoir été issue de la capacité d’évolution qui fait partie de la méthode de Milan elle-même. Comme le dit Lynn Hoffman (13), "Moins un ensemble de procédures, que d’apprendre à apprendre", l’approche systémique a appris aux professionnels à penser réflexivement, à transformer leurs propres préjugés et à se comporter face aux difficultés et impasses. (Boscolo et al., 1987, p. 28). Au début des années 80, Boscolo et Cecchin devinrent de plus en plus inspirés par le travail des chercheurs en cybernétique von Foerster, Varela, et Maturana, qui proposèrent la notion de vue cybernétique de second ordre. Ils mirent en avant le fait que l’on ne peut parler d’un système séparé et observé, mais uniquement du “système observant” qui prend en compte les lunettes de l’observateur. De ce fait, toute rencontre avec une famille est, en partie, une creation d’idées que les professionnels prennent comme materiel de travail. Les germes de cette evolution du “second-ordre” étaient presents à la fin du parcours complexe de l’équipe originelle de Milan, notamment dans leur article sur le questionnement circulaire (Selvini Palazzoli et al., 1980). L’article mettait en avant le processus d’interview, plutôt que les caractéristiques de la famille, et anticipait le tournant linguistique que le domaine prendrait en se concentrant sur la méthode conversationnelle plutôt que sur l’intervention. La transformation initiale dans l’équipe Finlandaise, qui prit place au milieu de nombreux autres changements, était en ligne avec la pensée du “second-ordre”, et commença quand l’équipe modifia sa relation avec la famille en considérant chaque personne impliquée comme membre d’un partenariat. L’utilisation de l’analogie cybernétique s’est ensuite effacée, tout comme les metaphores de vue et d’observation. Elles ont été remplacées, d’abord par l’image de la voix et de l’écoute, puis par les metaphores relatives aux “sensing” et au toucher. (Hoffman, 2002). Par dessus tout, l’idée persistante est que la thérapie est conçue comme un process créé conjointement, avec une emphase délibérée sur l’échange parlé et les cercles de dialogue. Open Dialogue a retenu d’autres importantes idées de la tradition Bateson-Milan, dont le positionnement communicationnel et l’emphase de l’affirmation, malgré l’abandon de la connotation positive en tant que telle. Revenir au sommaire | La réunion thérapeutique Open Dialogue Lynn Hoffman, thérapeute familiale et travailleur social, née à Paris en 1294. Auteure et historienne de la thérapie familiale, promotrice des approches post-modernes et collaboratives | |
Les principes des réunions Open DialogueLes pratiques de langage de la réunion thérapeutique d’Open Dialogue sont devenues assez différentes de celles de toute autre forme de thérapie de réseau. Comme vu précédemment, l’interview repose fondamentalement sur les principes de “tolérance à l’incertitude”, “dialogisme” et “polyphonie”. Nous allons considérer ici chacun de ces principes séparément, bien qu’ils interagissent récursivement. Tolérance à l’incertitudeLa tolérance à l’incertitude est le pendant, en fait l’opposé de l’utilisation systémique d’hypothèses, ou de tout autre outils d’évaluation. Dans la pratique, la tolérance à l’incertitude se traduit par des rencontres fréquentes et par la qualité du dialogue. Il est important que les rencontres soient tenues à fréquence suffisante, quotidiennement si nécessaire, pour que la famille ne se sente pas seule dans la crise. L’équipe surveille attentivement la planification des rencontres, et intègre couramment la possibilité d’avoir des rencontres chaque jour pendant les 10-12 jours qui suivent la survenue d’une crise sérieuse. De plus, l’incertitude peut être tolérée uniquement lorsque la thérapie a été vécue comme sûre. Toute crise sévère exige que les thérapeutes et la famille, pendant un certain temps, gerent les ambigüités inhérentes à la situation de crise, à laquelle le dialogue, heureusement, apporte un fil d’Ariane. Dans le fait de mettre en place ces conditions, on porte une grande attention à l’établissement d’un contexte thérapeutique de confiance, ou une “scène”, de manière à ce que les craintes et angoisses issues de la crise soient exprimées ou “médiatisées” (14) et continues. La sûreté est mise en place au départ en entendant et en répondant à la parole et au point de vue de chaque personne, et donc en légitimant chaque participant. Si ce type de tolérance est mis en place, il y a alors davantage de possibilités offertes aux ressources psychologiques (ou ce que nous pouvons maintenant appeler “dialogiques”) de la famille et du patient, qui ainsi deviennent des acteurs qui auparavant n’avaient pas un langage pour exprimer leur vécu d’expériences difficiles. Dans cette approche, la question “Qu’allons nous faire ?” qui est posée par une crise, est maintenue ouverte jusqu’à ce que le dialogue collectif produise lui-même une réponse, ou annule la nécessité d’agir. Les conseils immédiats, les conclusions rapides et les interventions traditionnelles ont moins de chances d’établir la sécurité et la confiance, et d’aboutir à une solution veritable de la crise psychotique. On évite en particulier les hypotheses, car elles peuvent réduire au silence, et interferer avec la possibilité de trouver une solution naturelle de désamorcer la crise (Andersen, 1990)(15). Les thérapeutes par conséquent, sans definition préliminaire du problème, l’abordent dans l’espoir que le dialogue lui-même apporte de nouvelles idées et explications. Enfin, la tolérance à l’incertitude est différente, bien qu’en étant une réminiscence, du principe de “non savoir” (16) proposé par Anderson et Goolishian (1992)(17). Le groupe Galveston définit une méthode de travail où le client est l’expert, et le professionnel l’appreneur. La méthode Finlandaise définit une méthode pour être avec les autres et avec soi-même qui est une façon légèrement différente de savoir. C’est ce que Rilke (1984) signifiait en écrivant “vivez votre chemin vers la réponse” (p. 42). DialogismeEntrelacée dans une constante incertitude, se trouve l’idée de Bakhtin (1984) du dialogue comme cadre de la communication au sein de l’équipe, de la personne, et du réseau social. Plus que de constituer un réseau, cette manière de travailler engage l’effort de réduire l’isolement en constituant un dialogue construit autour d’une relation de communication avec le patient et les personnes impliquées avec lui ou elle. Dans une perspective de constructivisme social, la psychose est une aliénation temporaire, radicale et terrifiante des pratiques de partage et de communication : un “no man’s land” dans lequel l’insupportable expérience n’a pas de mots et, de ce fait, le patient n’a pas de voix et n’a pas de veritable organisation. (Holma, 1999; Seikkula, 2002). La thérapie a pour but de developer un langage verbal commun pour les experiences qui sinon resteraient enfermées dans le discours psychotique et les voix intérieures, hallucinations et autres signaux privés de la personne. L’idée Bakhtinienne du dialogue et de son adaptation à la situation de psychose derive d’une tradition qui considère la parole et la communication comme principaux constituants de la réalité sociale. Construire des mots et établir une communication symbolique est constructeur de voix, d’identité, une activité d’organisation qui se produit conjointement “entre les gens” (Gergen, 1999). La crise deviant l’opportunité de faire et refaire l’histoire, les identités et les relations qui construisent le moi et le monde social. Open Dialogue traduit ainsi le concept de dialogisme de Bakhtin en un processus co-évolutif d’écoute et de comprehension. Ainsi décrit, il est coherent avec ce que le philosophe Français Jean-François Lyotard, étudiant le concept Wittgenstein des jeux de langage, appela le “jeu sans auteur”, par opposition au “jeu de speculation” de la philosophie et du débat occidentaux. Lyotard décrit le “jeu de l’audition” comme le “jeu du juste” dans lequel “la chose importante est d’écouter” et que lorsque l’on parle, “on parle en tant qu’écoutant” (Hoffman, 2000). Vu de cette façon, l’idée d’écouter est plus importante dans Open Dialogue que le processus d’interview. Pour cette raison, les premières questions dans une reunion thérapeutique sont aussi ouvertes que possible, pour donner aux membres de la famille et au reste du réseau social le maximum de chances de pouvoir parler des problèmes quels qu’ils soient, si ce sont pour eux les plus importants du moment . L’équipe n’en décide pas à leur place à l’avance. Pour créer le dialogue depuis le tout début, l’une des tâches du ou des interviewer(s) est de “répondre” à ce que le patient ou les autres ont dit. Toutefois, la réponse prend en général la forme des questions à venir et qui sont basées sur une des déclarations précédentes du patient. Dans une perspective Bakhtinienne, toute affirmation orale, ou déclaration, demande une réponse. Il y a une esthétique du dialogue (la prise en compte conjointe de la déclaration et de la réponse), qui le rend “dialogique” plutôt que “monologique”, comme le serait un orateur sans auditeur participant (Voloshinov, 1926). En décrivant son terme d’”hétéroglose”, Bakhtin dit que la signification n’est ni fixe ni intrinsèque, bien que les mots portent des traces et des fragments de sens venant de nos héritages linguistiques divers. Puisque la signification ne se fait jour que dans un échange en cours, l’orateur et l’auditeur sont intimement liés dans la construction du sens de l’épisode psychotique. Le processus thérapeutique demande une participation creative dans le langage, attentive non seulement à ce que les gens dissent, mais aussi aux sensations existantes et aux échanges non verbaux qui circulent entre eux. Dans le champs dialogique délimité dans lequel la personne, les autres personnes importantes et les professionnels se rencontrent, un langage pour la souffrance peut naître et donne une voix à la souffrance. PolyphonieDans Open Dialogue, il n’y a ni objet ni structure ni jeu à changer par la thérapie. En lieu et place, il y a de multiples sujets, formant une polyphonie de multiples voix. Ce fut Anderson et Goolishian (1988) qui proposèrent les premiers le paradigme linguistique défiant la notion d’une structure relationnelle ou de structure de communication existant dans la famille. L’approche post-structurale de White (1995) prend une position similaire. L’équipe ne se focalise plus sur la structure familiale, mais sur tous les individus impliqués. Ceci signifie que le “système” est en création dans chaque nouveau dialogue, où la conversation elle-même construit la réalité, et pas des structures ou “règles” familiales. A la différence de l’approche systémique, qui s’attache à intervenir pour changer le système, l’approche dialogique est conçue pour créer un langage partagé qui permet aux pensées de la personne en souffrance de devenir plus lucides dans le réseau immédiat. Le résultat est qu’Open Dialogue permet à chaque personne d’entrer dans la conversation de sa propre façon originale. Il est courant pour l’interviewer de commencer avec la personne ayant sollicité la réunion, puis d’aller vers une autre personne, lui faisant exprimer ses préoccupations. Des questions peuvent être posées qui aident à l’expression, telles que “Quand avec vous commencé à vous inquiéter pour votre fils ?”. Plus important encore, l’interviewer accorde une attention méticuleuse à la personne en détresse, dont les mots et pensées font l’objet du dialogue. En contraste avec l’utilisation systématique du questionnement circulaire, l’emphase dialogique est dans la génération d’expressions multiples, sans tenter de découvrir une vérité particulière. Une règle importante est que chaque participant a le droit de commenter. Les questions ou réflexions des professionnels ne doivent pas interrompre le dialogue en cours, à moins que ce qu’ils disent corresponde au thème en cours. Ils peuvent commenter soit en posant une autre question relative au thème, ou en commençant un dialogue réflexif sur celui-ci avec les autres professionnels (Andersen, 1995). Une alternance entre la parle et l’écoute génère de nouvelles opportunités au patient et à la famille pour reconstruire leur expérience (Andersen, 1995; Seikkula, Aaltonen, Alakare, et al., 1995). Bien qu’influencé par l’idée de l’équipe réflexive, Open Dialogue est un type de discussion moins structuré et plus spontané. Les échanges entre les divers professionnels, qui peuvent avoir travaillé ensemble dans la même configuration pendant des années, surviennent de manière impromptu, et souvent pendant les moments les plus stressants ou les plus difficiles. Les échanges tendent à promouvoir un sens de réassurance émotionnelle et aident à créer une histoire à partir de la communication psychotique de la personne. Lorsque des désaccords surviennent, le but est de donner à tous les avis une place pour exister et, de ce fait, encourager l’écoute et l’échange plutôt que la pensée polarisée, juste-ou-fausse. Ceci ne veut pas dire que tout le monde doit accepter tous les points de vue ; on peut être en désaccord. Les changements positifs peuvent prendre place simplement en donnant de l’espace aux différentes perspectives dans un climat sain. Le but est d’atteindre une compréhension mutuelle, plutôt que de lutter pour le consensus. Un effort est fait pour parler de tout problème majeur concernant le patient ou sa famille uniquement en leur présence, incluant les conclusions de la réunion elle-même. De ce fait, il y a très peu de débriefing post-réunion. Donc, bien que prenant ses racines dans la tradition de Milan, Open Dialogue donne un exemple important et bien développé du paradigme post-moderne (Andersen, 1995; H Anderson, 1997; Anderson & Goolishian, 1992; Hoffman, 2002; Penn, 2001).En accord avec Derrida (1971), il n’existe aucune "essence rigoureusement indépendante de ce qui la transporte” (p. 229). Autrement dit, il n’y a pas de conceptions de la vérité ou de la réalité qui puisse être connue séparément et extérieurement à l’expression humaine. L’ingrédient thérapeutique vient de l’effet du dialogisme dans un réseau social quand de nouveaux mots et histoires entrent dans le discours commun. Pour accomplir ceci, les pratiques de langage de la reunion thérapeutique on le double objectif de tenir les personnes suffisamment longtemps (tolerance de l’incertitude), de manière à ce que l’inexpressible puisse trouver une voix (dialogisme) avec l’aide des proches et dans le réseau (polyphonie). Revenir au sommaire | "Au début, il est peut-être impossible de comprendre ce que quelqu'un souffrant de psychose dit, et je suis très désorienté. Mais par la suite, je commence à percevoir qu'elle parle de choses qui lui sont arrivées dans sa vie, et que c'est peut-être la première fois qu'elle a la possibilité d'exprimer ces expériences. C'est une façon métaphorique de parler de choses pour lesquelles jusqu'alors on n'avait aucun mot". Jaakko Seikkula (14) Médiatiser: traiter par médiation. mediated ndt. (15) Tom Andersen, 1936-2007, psychiatre, fondateur de l'approche des processus réflexifs, proche d'Open Dialogue, Norvège. (16) not-knowing dans le texte, ndt. (17) Harlene Anderson (née en 1942) psychologue américaine. Elle a développé avec le Dr Harold A. Goolishian (1924–1991), une approche collaborative post-moderne de la thérapie familiale. Co-fondatrice dans les années 1980 de l'institut Galveston de Houston, terreau des thérapies collaboratives post-modernes. "La première chose que je pense, est que la voix de chacun est essentielle" Mia Kurtti, thérapeute familiale, Hôpital Kerapudas | |
L'histoire de Pekka et MaijaLe dialogue qui suit est exceptionnel, au sens où les symptômes psychotiques de l’homme, Pekka, disparaissent au cours de l’interview et ne sont jamais réapparus au cours des 7 années qui suivirent cette réunion. Ce type de résultat n’est pas représentatif du cas moyen, dans lequel une crise psychotique peut durer environ 2-3 ans. Toutefois, ce cas est illustratif du processus thérapeutique, et de la manière dont les mots sont construits ensemble pour les expériences non encore verbalisées. Il est impossible de prédire combien de temps cela prendra. Dans certains cas, comme nous le verrons ici, cela peut se produire dès la première rencontre, alors que dans la plupart des cas on a besoin de plus de conversations. Un médecin de première urgence rencontra Pekka, homme de 30 ans, marié, qui avait travaillé dans un magasin d’électronique. Pekka disait qu’il était victime d’un complot systématique, et que ceux qui étaient impliqués dans cette conspiration le pourchassaient. Le médecin contacta le service des admissions à l’hôpital psychiatrique, et une réunion thérapeutique fut organisée. Etaient présents Pekka, sa femme Maija, le médecin urgentiste (D), un psychologue (Psych), et trois infirmières (18). L’équipe rencontra un homme grand et fort, avec une épouse bien plus petite. C’est elle qui les fit entrer tous deux dans la salle, et ils s’assirent l’un à côté de l’autre. Au début de la réunion, Pekka parlait et Maija restait silencieuse, mais regardait son mari, qui à tout moment, la regardait en retour pour voir si elle approuvait ses dires. Lorsque l’équipe tenta une première fois de questionner Pekka, sont discours était psychotique et incohérent, et il était impossible de le comprendre. Pendant la première demi-heure, l’interview alla de thème en thème, sans aucun développement conjoint d’aucun sujet. Cette situation changea finalement quand l’une des infirmières questionna la femme de Pekka sur ses préoccupations. Cette question initia le début d’un dialogue dans lequel le discours psychotique de Pekka commença à s’atténuer. Maija : Bon Pekka a vu des choses. Il a suspecté tout le monde. Pekka : [Oui, et ...(19) Maija : Ce que je pense, c’est qu’ils sont tous assez irrités contre lui. Pekka : [....et je disais que je ne vais pas . . Maija : Et si quelqu’un parle de l’avenir… .. Pekka : [... Oui elle assez est énervée, pourtant … Maija : ... le même genre de situation est arrivé il y a huit ans. Pekka : [ C’était toute une histoire… Maija : Il avait même peur de son père, peur que son père veuille tenter de le tuer. Psych : Comment ça s’est résolu ? Vous avez pris pris un traitement ? Maija : Non, il n’a eu aucun traitement. Je ne me rappelle même pas moi-même comment ça a passé, peut-être que ça c’est tout seul … Maija commença à donner une description cohérente et fournit des détails qui permirent à l’équipe d’acquérir un peu de compréhension de la situation. Pendant cette partie de l’interview, Maija et Pekka parlaient en même temps, et donc ils entrèrent dans la conversation polyphoniquement. L’équipe n’essaya pas de structurer cette conversation en les faisant parler tour à tour. A la place, les professionnels acceptèrent le style de ce couple et la manière qu'il avait choisi d’engager la conversation. Après cet échange initial, Pekka commença à parler plus lucidement, constrastant avec ses affirmations précédentes dans lesquelles les phrases et pensées venaient de manière désorganisée. Cette lueur de clarté donna le signal d’un langage commun pour parler de la situation. Vers les quarante minutes de la réunion, Maija et Pekka commencèrent à décrire les évènements qui avaient conduit à l’apparition de la psychose. Ils peignaient en mots une description visuelle de ce qui était arrive, créant une narration des expériences qui auparavant n’existaient que comme débris de paroles sans contexte. Cette évolution pris place dans une conversation dans laquelle l’interviewer obtint une description calme, lente, des évènements ayant conduit à la crise. Dès lors, le résultat de la conversation était que Pekka, en étant devenu capable de mettre des mots sur son expérience, avait diminué son expression psychotique. Maija et Pekka tombèrent d’accord sur le fait que les symptômes psychotiques commencèrent un Vendredi. Le psychologue commença à éclaircir les détails de ce qui était arrivé ce vendredi. Pekka expliqua que les vacances arrivaient, et comme il était à présent au chômage, il n’avait pas d’argent pour faire des cadeaux. Son dernier employeur lui devait de l’argent sur des primes. Il était dans un état émotionnel extrême à cause du dilemme : demander l’argent pourrait compromettre son amitié avec son employeur, mais ne pas le demander signifiait qu’il ne pourrait pas être un père pour sa famille en achetant des cadeaux pour Noël. Malgré sa grande anxiété, Pekka décida d’appeler son employeur et de demander les primes. Lorsqu’il le fit, son employeur lui répondit mal, l’accusant de faire du chantage. Pendant cette terrible conversation, il y eut, par chance, une coupure d’électricité dans le secteur, et toutes les lumières s’éteignirent. Voici une partie de la description de l’échange : Psych : Oui, alors Ray (l’employeur) a dit que vous lui faisiez du chantage ? Pekka : Oui, et…. D : Et ce fut la fin de la conversation ? Pekka : Non, ce n’était pas à ce moment là. C’était quand j’ai dit que “Je ne vous fais pas de chantage évidemment, mais si, en quelque sorte, il serait possible, parce qu’il y en a besoin pour Noël”. Psych : A-t-il promis de le faire pendant la conversation ? Pekka : Il a dit, "Oui je vais regarder ça" Et à ce moment l’électricité tomba. Et ce fut vraiment un truc terrible. L’ordinateur, l’électricité qui crépitaient. Je sentais que d’une manière ou d’une autre il rétabirait le contact avec moi. Psych : Ca vous a perturbé ? Pekka : Et bien, je pensais qu’il avait été réellement effrayé. Maija : Quand les lumières se sont éteintes. Pekka : J’ai pris ça comme un genre de signe que le chantage fonctionnait. A ce point, les évènements précédemment non racontés commencèrent à être dits. Tout se passait apparemment comme si Pekka était emprisonné dans des injonctions conflictuelles qu’il ne parvenait pas à commenter, ni ne pouvait sortir du dilemme. Il interprétait la terrifiante coïncidence du blackout électrique dans le contexte de son dilemme. L’équipe commença à s’apercevoir que la paranoïa de Pekka était l’apogée de nombreux mois vécus dans une extrême tension, car il n’avait plus d’argent. L’équipe encouragea le couple à continuer de donner davantage de détails sur la chronologie des événements. Au fur et à mesure qu’ils le faisaient, elle assista à une déconstruction plus avancée de la psychose en parlant des émotions qui submergeaient Pekka au début de ses symptômes. L’interviewer eut l’impression que Pekka revivait la terreur pendant la réunion, ce qu’il pouvait avoir ressenti quand il commença à avoir des hallucinations. Pour pouvoir donner des mots aux terreurs émotionnelles de Pekka, l’interviewer lui demanda quelles étaient ses premières pensées juste après le blackout : Psych : On dirait que vous étiez effrayé à mort ? Pekka : Non ce n’était pas à ce point. Mais je pensais qu’il valait mieux quitter la place. On ne sait jamais, quand Ray pouvait être aussi agressif et aussi rapide à argumenter, comment il pouvait agir… Psych : Quelle fut votre première pensée… Pekka : ... que s’il venait…. Comment pourriez-vous l’arrêter s’il venait… D : S’il venait vous trouver Pekka : Oui, s’il venait D : venait vous tuer, c’était ça ? Pekka : Et bien c’est, c’est, c’est bien sur la pire chose qu’il pourrait faire… Pour définir l’expérience émotionnelle de Pekka, les interviewers ont utilisé des mots durs : “Il allait venir vous tuer, c’est ça ?” Cette question de l’équipe donna une nouvelle et claire expression de la frayeur de Pekka, sous une forme qu’il accepta immédiatement. L’ambiance de sécurité et de confiance dans la reunion, et la connexion entre Pekka et l’équipe était suffisamment établie pour permettre à l’échange de parler des peurs les plus dangereuses de Pekka. Cette interaction est exemplaire des effets dialogiques de la tolérance à l’incertitude. Parvenue à ce point, l’équipe se mit à réfléchir mutuellement. Les réflexions dans Open Dialogue tendent à se produire lorsque les personnes parlent des éléments les plus terrifiants de leur experience, et sont alors en danger de se désorganiser. Dans les réflexions, l’équipe utilise une position de connotation logique. Le terme de connotation logique est plus apte que celui de connotation positive, ce dernier plaçant les symptômes au service de prémices bénéfiques ou d’un mythe (Boscolo et al., 1987). La connotation logique décrit en quoi l’expérience ou le comportement problématique prend un sens dans un contexte particulier. De plus, la conversation reflexive entre les membres de l’équipe s’inscrit dans les principes dialogiques. L’objet ici n’est pas d’aboutir à une intervention, mais de créer un langage pour l’expérience du couple, qui reconstitue la parole et l’organisation. C’est la tâche de l’équipe de rechercher activement de nouvelles compréhensions du problème. Les themes développés par l’équipe partent de et construisent sur les mots utilisés par Pekka et Maija. Psych : Pouvons nous faire une pause, pour que nous puissions parler entre nous ? A quoi pense chacun de nous ? Quelles pensées vous viennent sur cette situation ? D : Bon, j’ai au moins pensé pendant que Pekka parlait, qu’il est le genre d’homme à prendre davantage soin des problèmes des autres que des siens. Pekka : C’est un peu…. Psych : Davantage que des siens ? D : Oui, plus des problèmes de ses voisins que des siens. Psych : Dans le fait que quand Pekka e demandé sa prime de fin d’année à Ray, il s’est mis à s’inquiéter de ce que ressentirait Ray sur cette question…? D : Oui. Psych : Il est plus inquiet de ce que pense Ray, que du fait que cet argent lui appartient. D : Oui, et j’ai aussi commence à penser à quel point la situation était difficile… Je me demande si Pekka est le genre d’homme qui a du mal à se battre pour ses droits et réclamer ce qui lui est dû […]. Je pense aussi que si Pekka décrit les choses de manière aussi détaillée qu’il l’a fait ici, est-ce le signe d’un besoin ou d’une crainte ? Ou veut-il que nous comprenions un problème plus en détail ? Il a si profondément expliqué ce qui est difficile à comprendre, ce qui était difficile à voir. Psych : Et bien, on pourrait penser que si l’on ne comprend pas ce qui s’est passé, c’est une bonne raison d’expliquer très précisément ce qui se produisait. "Que signifiait cela ?" et "Qu’est-ce qui m’a fait penser cela … ?” D’une certaine façon, l’ensemble a disparu et pour cette raison, on doit rechercher les détails pour comprendre ce que tout cela signifie. D : Et les choses apparentes, les raisons données, peuvent aussi être un signe que l’ensemble a disparu, que l’on ne sait pas exactement ce que les choses signifient. Psych : (se referant à une partie antérieure de la réunion où Pekka expliquait que la télé lui relayait des messages privés) Oui il n’est plus possible de distinguer ce qui est important de ce qui ne l’est pas. C’est horrible de regarder des programmes TV, en ayant en tête que ce sont des choses qui n’ont de sens que pour moi, alors que les programmes sont faits quelque part en Amérique. D : ... et il y a des années. Dans cette séquence dialogique, les membres de l’équipe réfléchirent au sujet des incidents que Pekka et Maija avaient décrits. A la fin de la réunion, l’interviewer revint sur certains des incidents préalables pour déterminer si Pekka avait encore des idées psychotiques sur le blackout électrique et sur la réaction de son ex-employeur. Le psychologue demanda à Pekka s’il pensait que ces évènements étaient des coïncidences, et il répondit que maintenant il pensait que c’en était. L’équipe convint que si Pekka pensait maintenant qu’il n’y avait pas de pouvoir magique affectant sa relation avec son dernier employeur, alors il n’y avait plus de psychose. Dans cette évolution, il semblait montrer un nouveau sens d’organisation personnelle, en contraste au fait d’être contrôlé par une destinée. Dans cet exemple d’Open Dialogue, une parole évolua pour décrire le terrible paradoxe que Pekka vécut en relation avec sa famille et son employeur. Il est possible de considérer cette situation psychotique depuis la perspective de la théorie de la double contrainte, et de relever à quel point le fait d’être capable de nommer et de commenter cette expérience libère de cet emprisonnement. En fait, le concept de double contrainte a été abandonné, parce qu’il tend à suggérer “une réalité extérieure” à changer, plutôt qu’une “conversation dialogique” qui peut construire un itinéraire vers la sortie du monde psychotique. De ce point de vue, la réunion thérapeutique peut être définie comme l’endroit où les mots nécessaires pour parler de choses difficiles peuvent être trouvés dans le cadre du mouvement de va-et-vient (“back-and-forth movement”) de la trame conversationnelle. Revenir au sommaire | (18) Les noms et caractéristiques ont été modifies pour rendre impossible l’identification du cas (19) Le symbole “[“ signifie que cette parole est dite en même temps que celle de l’autre personne. | |